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BAGARRE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE, LE VERS EST DANS LE RÉGIME

Oui, ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale du Sénégal ce jeudi 1er décembre est proprement « ignoble » !

Oui il faut condamner sans réserve les députés de Yewwi Askan Wi Massata Samb et Mamadou Niang pour l’agression inadmissible de leur collègue Amy Ndiaye Gniby.

Mais ce qu’il convient de stigmatiser, c’est la cause première de cet acte.

Il faut ensuite envisager des recours éventuels pour prévenir des conséquences tragiques pour le pays.

Ça s’est passé ailleurs aussi 

De pareilles altercations entre parlementaires ont eu lieu dans plusieurs autres pays à travers le monde ces dernières années. On trouve sur Internet et sur les réseaux sociaux des articles et des vidéos d’incidents similaires survenus à travers le monde, de la France à la Corée du Sud, en passant par la Macédoine, l’Ukraine et la Turquie. 

Il apparait clairement à l’examen de ces différents incidents qu’ils sont partout l’expression d’une crise politique exacerbée qui abouti à …la confrontation armée. Deux exemples suffisent ici : celui de l’Ukraine et celui de la Turquie.

En Ukraine, la bagarre qui a éclaté lors d’une séance du parlement en novembre 2016 lorsqu’un député a accusé son collègue d’être un agent de Moscou avait évidemment pour fondement la crise politique que traversait le pays, tiraillé entre partisans de l’adhésion à l’Union européenne et ceux de l’alliance avec la Russie.  On connait la suite.

En Turquie, le 2 mai 2016, une violente bagarre a éclaté au sein du parlement entre partisans du Parti de la Justice et du Développement (AKP) du président Recep Tayyib Erdogan au pouvoir et partisans de l’opposition. La Turquie traversait alors une crise politique suscitée par le projet de M. Erdogan et l’AKP de procéder à une révision constitutionnelle pour adopter un régime présidentiel fort, en remplacement du régime parlementaire, dénoncer la laïcité de l’Etat et adopter une orientation islamiste.

Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, à peine deux mois après la bagarre, une tentative de coup d’État militaire survint.

Le régime y survécu et procéda à l’arrestation de plus de 50 000 personnes dont des journalistes et des députés, au licenciement de « plus de 100 000 employés du secteur public ».

La crise politique du Sénégal 

Comme en Ukraine et en Turquie, le spectacle désolant qui s’est déroulé à l’Assemblée nationale ce jeudi 1er décembre est révélateur d’une grave crise politique au Sénégal. Celle-ci a pour cause principale la gouvernance du président Macky Sall.

Depuis son accession au pouvoir, abusant de la concentration excessive des pouvoirs que lui donne la Constitution, le président Macky Sall a renforcé davantage son contrôle sur le pouvoir judicaire et « mis sous le coude » les organes de contrôle que sont l’Office National de lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC), l’Inspection Générale d’Etat (IGE) et l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP).

Dans le même temps, tentant ouvertement de « réduire l’opposition à sa plus simple expression », il a emprisonné Karim Wade avant de l’obliger à s’exiler, fait condamner Khalifa Sall, alors député et maire de Dakar à une peine de cinq ans de prison ferme sous l’infamante accusation de détournement de deniers publics.

Il a procédé au démantèlement du PDS en embastillant l’un après l’autre, sous des motifs divers, des cadres historiques, comme El Hadj Amadou Sall et Oumar Sarr, avant de les « retourner ».

Il a fait déclencher une véritable chasse à l’homme, usant de boules puantes et de coups bas, contre M. Ousmane Sonko dès lors que celui-ci est apparu comme la personnalité politique la plus populaire au Sénégal.

Il a réduit drastiquement l’espace démocratique par des arrestations régulières de journalistes et de lanceurs d’alerte (dont le dernier en date Pape Allé Niang observe une grève de la faim en ce moment), des interdictions régulières de manifestations publiques et le contrôle outrancier des médias publics.

En refusant de confirmer qu’il ne se présentera pas à l’élection présidentielle de 2024 conformément aux dispositions de la Constitution et en orchestrant une campagne de plus en plus agressive en faveur d’un troisième mandat, il a installé un climat délétère dans le pays.

L’ombre menaçante de la fameuse DIC (Direction des Investigations Criminelles) plane désormais en permanence au-dessus de la tête de tous les citoyens, on parle régulièrement de remous au sein des forces de défense et de sécurité, de disparitions inexpliquées et de morts de prisonniers politiques en l’détention.

Ne bénéficiant plus que d’une majorité étriquée d’une ou deux voix à l’issue des élections législatives de juillet dernier, au lieu de chercher des plages de convergences avec l’opposition, on a voulu reconduire les pratiques autoritaires d’antan.  

On a ainsi imposé d’entrée, d’en haut, un président à l’Assemblée nationale sans même consulter l’opposition ni même les députés du propre groupe de la coalition au pouvoir (pas même madame Aminata Touré qui avait pourtant dirigé leur campagne électorale).

On a organisé ses troupes (surtout des femmes) à répondre par l’invective et l’insulte aux interpellations des députés de l’autre camp.

Et maintenant, quel recours ?

Dieu nous garde du sort de l’Ukraine et de la Turquie. Il faut sortir rapidement de cette crise délétère. Il suffirait pour cela que monsieur Macky Sall déclare ici et maintenant qu’il ne sera pas candidat à la prochaine élection.

Les chefs religieux, musulmans, chrétiens et animistes, régulateurs traditionnels de la société sénégalaise pourront-ils intercéder pour cela ?

En attendant des mesures conservatoires doivent être prises. On pourrait commencer par adopter de manière consensuelle un règlement intérieur de l’Assemblée nationale novateur, le précédent élaboré par et pour une Assemblée monocolore n’étant manifestement plus approprié.

Pour le reste, vivement février 2024 !

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