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C’ÉTAIT CHEIKH SARR, VIE ET MORT D’UN ARTISTE

Cheikh Sarr, c’était une vie belle et tragique. Belle parce qu’esthète de la balle, le meneur de jeu a fait rêver tant d’amoureux du beau jeu. Nous allions au stade pour voir Cheikh. Lui d’abord, le poète des pelouses. Belle parce que dans sa météorique carrière, Sarr a porté la doyenne des clubs du pays, jusqu’en finale de la Coupe d’Afrique des clubs en 1998. Une performance jusqu’ici inégalée.

Les grands soirs du stade de l’amitié, il fallait voir Cheikh Sarr, dans son bleu de chauffe de la Jeanne d’Arc, habité par la noblesse et la justesse du geste, porter son équipe dans un récital unique.

Cette grande silhouette d’1m85, typique et atypique, caressait la balle avec grâce. Tout dans ce corps filiforme était football. Sarr était le maître à jouer du grand JA de la fin des années 90. Il inventait et fabriquait du jeu. Ces feintes de corps et contrôles orientés sont des pièces d’art.

L’élégance du jeu

Chez Cheikh Sarr, le geste est poésie et beauté. Le football comme récital. Cheikh a su faire du fameux “wané” ou “sikké” du foot de rue, une arme destructrice dans le haut niveau. Et l’art n’était pas évident.

Car à vrai dire, dans la tribu des esthètes, il avait un plus :  au jeu d’instinct et la spectacularité du National pop (navétanes), le gaucher alliait une rigoureuse et intelligente culture tactique. Le poète pouvait être calculateur, parfois tueur froid. Esthète oui, décisif plus encore.

Cheikh, ce n’était définitivement pas l’art pour l’art mais l’art au service du jeu, du collectif, de la gagne.

Le tragique des âges tendres

Mais Cheikh Sarr, c’était aussi une tragédie. Tragique parce que carrière transfigurée par l’extra sportif. Tragique parce que hanté par les errements de l’addiction des jeunes années à Ouagou Niayes. Tragique parce que toujours si près de la gloire professionnelle mais jamais atteint.

Cheikh s’est échiné à manquer les rendez-vous avec l’histoire.

En 2000, Cheikh Sarr rate l’immanquable, la Can 2000 au Nigéria alors qu’il était au summum de son art et s’était imposé comme leader technique durant les matchs de qualifications.

Dans les travées du stade, on raconte que l’austère Peter Schnittger, après l’avoir adulé, l’aurait écarté pour un doigt d’honneur. Toujours est-il que Cheikh Sarr rate le virage symbolique de la renaissance de l’équipe nationale : l’esprit de Surulélé (du nom de ce fameux match de référence contre le Nigeria). Un autre gaucher d’exception se révèle, Khalilou Fadiga. C’est la fin de l’histoire pour l’enfant de Jaon (Jeunesse Amicale des Ouagou Niayes). L’homme qui a ébloui la disette du foot sénégalais de la fin des années 90 s’éclipse.

Une carrière pro décevante, quelques brèves apparitions dans les pages des faits divers, on retrouve Cheikh Sarr, une décennie plus tard, en homme assagi et sage. Une vie spirituelle intense solidement adossée aux valeurs soufies mourides

L’enfant des Jaon, tête de bois des âges tendres, s’est mué en bienveillant grand frère. Le talibé cache l’artiste, désormais.

Mais le rocker Omar Pène, grand supporter du Jaraaf, avait raison de chanter partout :  » Cheikh Sarr suma ndanane » (Cheikh mon artiste).

Cheikh Sarr, ce n’était pas une légende. Cheikh était un artiste du football des années 90, comme on n’a plus jamais revu chez nous.

Baye Ousmane Ndiaye est un ancien journaliste sportif.

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