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Les Sénégalais connaissent par cœur l’administration. Mais en chœur, ils déplorent les pratiques peu orthodoxes qui y ont cours et à une vaste échelle. Elle se déconnecte et se désincarne. Les traditions de l’écrit se perdent. Des décisions majeures se prennent ailleurs que sous le registre de la traçabilité. Confusion.

Jadis performante, elle devient aujourd’hui l’ombre d’elle-même avec l’évanescence du sacerdoce, du « don de soi » et de l‘attachement « à la grandeur ». En lieu et place des actes qui la personnifiaient, l’administration centrale (qui inclut la Justice) s’enlise dans un sablier de poussière.

Elle s’éloigne de plus en plus des usagers, autrement dit des administrés qui s’étonnent, et pire, s’inquiètent du trop de mal fait à ce corps, pourtant un des piliers de notre fierté républicaine.

Le Building administratif, sans doute le symbole achevé de cette administration, à peine rénové à coups de milliards, puis réceptionné, prenait feu à un étage. Etrange. Depuis, le vénérable bâtiment à nouveau vidé de ses occupants, trône sur les hauteurs du Plateau comme un temple hanté. Les services centraux sont éparpillés, à l’image des archives dont la délicatesse de conservation commande de veiller à leur préservation avec la plus grande vigilance.

Notre histoire commune s’y trouve condensée… Pour autant, ce segment de notre patrimoine ne s’isole pas de l’ensemble de l’entité administrative auquel il se rattache au plan fonctionnel. Les carences se multiplient, de même que l’absentéisme ou les vacances courantes. Sans compter bien évidemment les congés qui se prolongent indéfiniment. On a hâte de les prendre mais on traîne les pieds pour une reprise effective de service.

Ce simple constat dénote une crise de vocation aggravée par l‘indifférence d’agents véreux uniquement préoccupés par l’appât du gain. Croient-ils au modèle d’une administration au service des citoyens ? Non. Ils sont légion à « territorialiser » leur domaine de compétence pour le monnayer contre espèces sonnantes et trébuchantes.

Depuis la fin de la décennie 80, avec les ajustements structurels préconisés alors par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, le Sénégal progressait à reculons avec le départ massif de fonctionnaires et l’arrivée tout aussi massive d’auxiliaires recrutés sans trop de discernement pour occuper des postes auxquels ils n’étaient pas préparés.

Rappelons-nous les « ailes de dinde » dans l’enseignement composés pour l’essentiel de naïfs, de besogneux, de tâcherons, de paresseux et, plus navrant, d’aveuglés sans choix, tous venus sans le désirer dans ce noble métier. De cette époque date le déclin de l’école sénégalaise, une descente aux enfers qu’aucune politique hardie n’est venue enrayer pour remettre à l’endroit ce bel atelier de fabrique de l’esprit républicain.

La santé n’est pas en reste. Elle concentre en elle les fâcheux travers de la société sénégalaise : indolence, irresponsabilité, cupidité (même devant la mort), indifférence, formation au rabais, agents véreux, soins hasardeux, la médisance ou l’irrespect des règles de protocoles sanitaires.

C’est pourtant dans ce même secteur de la santé que se trouvent également les meilleurs praticiens : de l’infirmier au professeur de rang titulaire de chair. Cette cohorte de talents se retrouvent esseulés au sein des structures où prévalent des usages peu orthodoxes que réprouve la morale. Dans la plupart des hôpitaux, s’engouffrent des intermédiaires qui, à force de fréquenter les lieux, finissent par ressembler aux praticiens professionnels et à se confondre avec eux.

Le comble est ailleurs dans une administration qui ne prend plus conscience du danger de son propre dépérissement. Elle se politise à outrance. En son sein se mènent d’âpres luttes feutrées pour la conquête de position de pouvoir. Des moyens colossaux sont en jeu. Ils cristallisent les attentions et les appétits au point que ceux qui occupent les postes les plus en vue ne lâchent rien et ceux qui les contestent font feu de tout bois pour les en déloger.

Certains directeurs généraux, plus nantis que leur tutelle, occultent la hiérarchie pour s’adresser directement à « l‘Autorité » et jouissent ainsi d’une « immunité » qui accentue leur autonomie, donc leur puissance. La charge lucrative secrète des prébendes qui confèrent à « l’aumônier » reconnaissance et admiration dans son fief politique occasionnel.

Ses visites de terrain ou le « retour au pays natal » constituent toujours des moments forts de démonstration de l’opulence : distributions de ressources, inauguration, poses de pierre, coupure de ruban, agapes, fêtes foraines, meeting, louanges à tue-tête, convoi et escorte dans un indescriptible vacarme qui cache mal les desseins envisagés.

Sous la houlette de l ‘émotion règne une confusion savamment entretenue pour dissocier les « bons fils » du terroir des « mauvais » et conforter dans l’opinion une divine mansuétude et une « mère bénie des Dieux ». Cette pratique se répand. La vulgarité et l’insolence fleurissent dans des psychodrames qui ressemblent fort à des règlements de compte ou des revanches « sociales » à prendre.

A l’évidence, l’administration sénégalaise se dégrade. Désormais tout se règle par des chuchotements, des murmures, des apartés, des connivences ou des « ententes cordiales » entre corps constitués, sublimées par des affinités qui en disent long sur l’accaparement d’avantages indus.

D’ailleurs les « nouveaux riches » issus des rangs de l’administration ne se cachent plus pour vivre dans l’ostentation et l’alignement de biens. Ils s’imposent par l’opulence et volent la vedette « aux âmes bien nées » en s’érigeant en de « nouveaux acteurs » sans réel parcours.

L’ancien Président du Conseil, Mamadou Dia vivait sobrement. Sa famille -notamment ses enfants-, subissait ses foudres quand il observait le moindre écart de conduite.

Les premières générations d’inspecteurs des impôts et des domaines n‘avaient que de modestes maisons à l’opposé de leurs lointains successeurs propriétaires de somptueuses villas et détenteurs de précieux titres fonciers.

Au-delà de cette boulimie d’acquisitions, que veulent les « nouveaux acteurs » en gestation ? Ressentent-ils le besoin irrépressible d’asseoir une domination basée sur l’accumulation ? Ce Sénégal des années 20 est-il le leur ?

Il est tentant, dans une société travaillée par l’argent et le clinquant, d’ordonner sa vision sous le prisme de l’avoir en négligeant ou en occultant d’autres dimensions de la vie.

Quel socle de valeurs se profile alors dans un tel état de dérives de légèreté ? Ses adeptes s’associent pour compter et par ricochet pour exister. Cette profusion d’émotions teintées de naïveté mal dissimulée colonise des esprits dépourvus de retenue et du sens du jugement.

Le service public du Sénégal se meurt. Devons-nous nous hâter de le sauver de l’oubli, de la déshumanisation, de la vétusté en l’abandonnant à son sort peu enviable ?

Née sous l’emprise du monde d’avant, notre administration a eu un âge d’or qui la prédispose à vivre le monde d’après gouverné par des tumultes et des turbulences en vue…

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