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LA LIBERTÉ D’ÊTRE LIBRE

Ivres de liberté, portés par une illusion, les voici tirés d’une fiction. Face au réel, ils crient au scandale. Appellent à défendre la liberté de la presse. « La base de toutes les autres libertés ». Sans elle, « il n’est point de nation libre », disait Voltaire. Aujourd’hui, c’est un branle-bas. Comme hier, voire fort longtemps. En 1977, Mame Less Dia du journal satirique Le politicien était détenu en prison. Une motion de l’assemblée générale de l’Association nationale des journalistes sénégalais (Anjs) exigeait sa libération. Babacar Niang, alors directeur de publication de Taxaw, organe du Rassemblement national démocratique (Rnd), écrivait : « Le politicien a sa ligne, nous avons la nôtre (…). Il n’empêche que nous demandons (sa) libération immédiate. Que Mame Less Dia soit, au regard des lois pénales, coupable ou non de ‘’recel de documents volés’’ est une chose ; autre chose est le maintien en prison de ce journaliste qui ne peut ni se soustraire à l’action de la justice ni gêner en quoi que ce soit l’instruction en cours. Son maintien en détention est, à juste raison, perçu par ses confrères et par l’opinion publique comme une mesure d’intimidation qui s’ajoute à d’autres mesures tendant à étrangler, dans les faits, la liberté de la presse. »

La liberté est une quête continue dans un monde changeant. Comme la démocratie, ce vivre-ensemble, qui est une construction de tous les jours. Elles n’arrêtent pas d’attirer et de décevoir. C’est un charme de leur énigme. Toutefois, relisons Nelson Mandela dans Un long chemin vers la liberté. Pour lui, « la vérité, c’est que nous ne sommes pas encore libres ; nous avons seulement atteint la liberté d’être libres… » D’après Hannah Arendt, « être libre pour la liberté signifie avant tout être délivré, non seulement de la peur, mais aussi du besoin ». Selon la note éditoriale du livre La liberté d’être libre (H. Arendt), le changement social est un préalable au changement politique. Faites que les masses populaires soient sevrées de peur et de ruse et un changement politique adviendra sans violence, disait Cheikh Anta Diop. Aussi Mandela n’avait-il pas prévenu qu’« être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres ».

« Avec la liberté viennent les responsabilités »
Des discours et autres écrits fleurissent. Une sympathie, un héroïsme magnifiés. Une insoumission, une désobéissance glorifiées. Une injustice vilipendée. Un débat parfois contradictoire… Quelques-uns tirent sur une ambulance. Rien qui égale une raison que ces mots de Mandela enseignent : « J’ai parcouru ce long chemin vers la liberté. J’ai essayé de ne pas hésiter ; j’ai fait beaucoup de faux pas. Mais j’ai découvert ce secret : après avoir gravi une haute colline, tout ce qu’on découvre, c’est qu’il reste beaucoup d’autres collines à gravir. Je me suis arrêté un instant pour me reposer (…). Mais je ne peux me reposer qu’un instant ; avec la liberté viennent les responsabilités, et je n’ose m’attarder car je ne suis pas arrivé au terme de mon long chemin. »

La responsabilité ! Un défi. Le seul et le vrai qui poussent à la victoire. Cette manière d’être d’un adulte conscient de ses limites et fait, avec elles, ce qu’il peut et ce qu’il doit. En effet, même la liberté n’est pas libre. Son exercice est limité. « Il n’y a point de liberté sans loi », écrivait Jean-Jacques Rousseau. Le but étant de gérer une fragile tranquillité, un équilibre précaire souvent remis en cause par un attachement délicat au respect d’une juste proportionnalité entre restriction des libertés et préservation, voire protection d’intérêts généraux. Des évolutions du monde réduisent fréquemment des espaces de libertés. Des lois spéciales font lésion depuis 1694 que la liberté de la presse a été affirmée pour la première fois en Angleterre. Certes, les restrictions à la liberté, leurs conditions de sanctions possibles doivent être nécessairement établies. Une nécessité pas toujours convaincante. Ainsi quand la liberté ne doit pas, entre autres, porter atteinte à la défense, la sécurité de l’État. Dans nos sociétés modernes, personne n’est omniscient ou tout-puissant pour ne rien perdre de ses libertés qui sont toutes bridées. N’empêche, les populations sont de plus en plus exigeantes sur le respect de leur droit de savoir. Donc, la liberté d’informer.

Dans un combat pour la liberté, malgré une passion, un dégoût pour l’hypocrisie, seule la responsabilité préserve du chaos qui dessert. L’histoire nous l’apprend. Là où les grandes révolutions n’ont pas réussi, un populisme n’a rien apporté sinon pire. La vertu n’a pas supprimé le vice, l’honnêteté n’a pas vaincu la corruption. Une autorité, une tyrannie n’ont pas empêché une décadence. L’Afrique aux multiples coups d’État et guerres civiles végète dans l’instabilité. Elle met en évidence une exception sénégalaise dont les fils sont peu fiers de ses tares. Toutefois, la postérité, gardienne des secrets, n’est-elle pas une fille de la raison ?

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