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«L’AFRIQUE FABRIQUE DESORMAIS SES PROPRES TERRORISTES»

Président de la Plateforme panafricaine «Efforts de paix», par ailleurs leader de la Jeunesse burkinabè en Côte d’Ivoire, Hamed Y. Savadogo ne fait pas dans la langue de bois lorsqu’il s’agit d’aborder des questions aussi sensibles que la paix et la sécurité dans une Afrique de l’Ouest en proie aux coups d’Etat et aux attaques djihadistes. Jeune panafricain connu pour son engagement en faveur de la paix et de la cohésion sociale, notamment dans son pays d’accueil, la Côte d’ivoire, M. Savadogo jette un regard critique sur les tares des Etats africains qui sont un terreau fertile, selon lui, au développement de crises et favorisent des coups d’Etat. Dans cet entretien, il revient sur la sérieuse question de la sécurité des Etats d’Afrique de l’Ouest dans un contexte de coups d’Etat répétés, la montée de l’extrémisme religieux dans le Sahel, mais aussi et surtout la question de la mauvaise gouvernance en Afrique qui favorise l’instabilité du continent.

Qu’est-ce que la Plate¬forme panafricaine «Ef¬forts de paix»?

La Plateforme panafricaine «Efforts de paix» est une association qui fait la promotion de la paix durable, de la démocratie et de l’intégration des peuples africains. Notre structure, composée de jeunes de plusieurs nationalités africaines, veut contribuer à un peu plus de paix dans la sous-région ouest-africaine, la paix au niveau des Etats, mais aussi la paix des communautés.

Qu’est-ce qui a motivé sa création et quels sont ses objectifs ?

Nous avons fait le constat que très souvent, les crises naissent soit du fait de la mal gouvernance, soit du fait d’un déficit d’information, voire de sensibilisation des masses populaires. Le sous-développement de l’Afrique, tout le monde en parle, mais l’absence de paix sociale et de stabilité de nos Etats africains en est pour beaucoup. Autrement dit, sans paix, il n’y a pas de développement. C’est donc partant de ce constat que nous avons porté sur les fonts baptismaux, la Plate¬forme «Efforts de paix» en vue d’apporter notre contribution au règlement de certains conflits. Il s’agit pour nous de mettre la jeunesse au service de la promotion de la paix et de la cohésion sociale. Nous estimons que le meilleur moyen de contribuer au développement de l’Afrique, c’est de militer d’abord pour la paix. Nous voulons être une force de proposition qui contribue qualitativement au débat public et qui aide les décideurs à opérer de bons choix dans leur gouvernance. Cela passe naturellement par des tournées de sensibilisation, des conférences et activités adaptées aux thématiques du vivre-ensemble.

Comment appréciez-vous la situation sécuritaire de plus en plus critique en Afrique de l’Ouest ?

J’estime que la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest est très inquiétante, avec l’instabilité de plusieurs Etats comme le Mali, le Burkina et la République de Guinée, pour ce qui est des coups d’Etat, mais il y a surtout la montée du terrorisme. Il faut s’en inquiéter en raison de la forme de terrorisme à laquelle nous assistons. C’est-à-dire que l’ennemi ne vient plus d’ailleurs comme avant, mais il s’agit désormais des nationaux. L’Afrique fabrique désormais ses propres terroristes.

Les Etats africains semblent impuissants face à cette question. Que faut-il faire pour garantir la souveraineté sécuritaire de l’Afrique, notamment dans l’espace Cedeao ?

La Plateforme «Efforts de paix» pense qu’il incombe avant tout à chaque pays d’assurer sa propre sécurité. Cela implique une bonne gouvernance et le respect des droits humains. Quand des dirigeants ne parviennent pas à lutter efficacement contre la pauvreté, la corruption et les injustices sociales, tout cela finit par déboucher sur des crises. Or, les crises sont un terreau fertile à l’insécurité. Il y a tout d’abord une question de gouvernance, ensuite il faut s’interroger sérieusement sur les métiers de nos Armées. A quoi servent les Armées africaines entretenues à coups de milliards ? Quel est leur niveau de formation ? C’est important que nous débattions de ces questions. C’est seulement après que l’on pourrait demander des comptes ou exiger certaines choses de la Cedeao, qui n’est que le reflet pâle des Etats membres.

Etes- vous pour la mise en place d’une force africaine pour faire face et mieux sécuriser l’Afrique et ses populations ?

Nous militons pour une force africaine face aux nombreux défis sécuritaires. Cependant, il faut que chaque Etat s’assume avant. J’entends souvent parler des performances de l’Armée tchadienne, sur laquelle a compté un moment le G5 Sahel. C’est dire que chaque Etat devra d’abord performer son Armée, sans quoi la force africaine n’apportera rien de concret sur le terrain.

Comment devrait-elle être organisée, avec quels financements ?

Jusque-là, les organismes à caractère sous-régional ou international fonctionnent sur le principe d’une cotisation annuelle des Etats membres. Ils bénéficient également de financements provenant de partenaires. De ce point de vue, le financement ne peut être un problème si la volonté y est. Quant au mode de fonctionnement à adopter, l’exemple du G5 Sahel, avec un commandement par rotation, pourrait inspirer la mise en place de cette force africaine.

Il s’y ajoute depuis un certain temps, les coups d’Etat. L’espace ouest-africain en a connu 5 dont 1 en Guinée, 2 au Burkina et 2 au Mali. Qu’est-ce qui, selon vous, explique cette recrudescence de coups d’Etat en Afrique de l’Ouest ?

Comme je l’ai dit tantôt, la mal gouvernance et les injustices sociales sont pour beaucoup dans l’avènement des coups d’Etat. Au Mali comme en Guinée, les coups d’Etat sont intervenus après des élections truquées où la Constitution a même été modifiée pour le cas de la Guinée. Au Burkina, non seulement la gouvernance n’était pas vertueuse, mais en plus, le régime avait montré ses limites dans la lutte contre le terrorisme.

Est-ce qu’un échec des gouvernants africains peut expliquer cette situation qui dégrade l’image de la démocratie africaine ?

Bien sûr que les crises qui secouent les pays africains sont la preuve de l’échec de ses gouvernants qui manquent pour certains de vision et pour d’autres de capacité d’anticipation sur les crises. Pour beaucoup de chefs d’Etat africains, le pouvoir est encore perçu comme un bien privé. En face, vous avez comme réponses les coups d’Etat, les rebellions et les manifestations à n’en point finir.

La Cedeao n’a-t-elle pas atteint ses limites dans la gestion des crises en Afrique de l’Ouest ?

On est souvent très critique vis-à-vis de cette institution. Moi-même, je n’ai pas souvent été tendre avec cette organisation. Mais après analyse, quand on se rend compte que ce sont nos Etats, avec toutes les faiblesses qu’on leur reconnaît, qui forment cette communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest, on ne peut pas s’attendre à mieux que ce qu’on constate. Cette Cedeao n’existe que de nom.

Qu’en est-il de l’implication de la jeunesse africaine dans la recherche de solutions pour une résolution des crises ?

L’avenir de l’Afrique repose beaucoup sur la jeunesse. C’est pourquoi il est souhaitable que cette jeunesse s’implique dans la recherche de solutions aux crises que nous vivons. Mais attention, la formation de cette jeunesse doit être une priorité. Si nous échouons à éduquer et à former cette jeunesse, nous n’arriverons à rien de meilleur.

Vous êtes originaire du Burkina, où on vient d’enregistrer un deuxième coup d’Etat après celui du 24 janvier. Comprenez-vous cette propension de l’Armée à s’accaparer le pouvoir ?

Le contexte sécuritaire au Burkina Faso est tel qu’il nourrit des ambitions au sein de l’Armée. C’est elle qui est en première ligne dans la défense des populations et du territoire national. C’est elle qui sait apprécier le mieux les stratégies et moyens nécessaires pour faire face à la menace. On peut de ce point de vue leur concéder le fait de s’inviter au pouvoir parce que nous ne sommes pas dans une situation normale.

Le coup d’Etat de janvier aurait été motivé par l’incapacité du gouvernement burkinabè à contenir l’insurrection djihadiste. Qu’est-ce qui, selon vous, a motivé celui du 30 septembre ?

Je pense que le coup d’Etat du 30 septembre est la résultante d’incompréhensions au sein de l’Armée, du moins ceux qui ont arraché le pouvoir à Roch en janvier dernier. Puisque c’est le même mouvement, en l’occurrence le Mouvement du peuple pour la restauration et la sauvegarde (Mpsr), qui tient toujours le pouvoir. Il a juste préféré désormais un Capitaine à un Lieutenant-colonel.

Quelle posture doit avoir la Cedeao pour aider le Burkina, le Mali et la Guinée à revenir à l’ordre constitutionnel ?

La Cedeao n’a pas d’autre choix que d’accompagner ces Etats en crise afin qu’ils reviennent à l’ordre constitutionnel.

Les sanctions, les intimidations et autres mesures dissuasives peuvent-elles aider en de pareilles circonstances ?

Non ! Parce que le Mali constitue la preuve que les intimidations ne marchent pas toujours. Ce n’est pas dans l’intérêt de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest de voir le Burkina et la Guinée suivre les traces du Mali.

L’arrestation et l’emprisonnement de soldats ivoiriens au Mali est une préoccupation que la Cedeao a du mal à gérer. La Plate¬forme afri¬caine «Efforts et paix» aurait-elle un plan pour sortir de cette situation et éviter la détérioration des relations entre Bamako et Yamoussoukro ?

Sur cette question, la Plateforme «Efforts de paix» estime que la solution proviendra du dialogue et des discussions déjà engagés. C’est une question plus politique et diplomatique qu’autre chose. C’est d’ailleurs pourquoi nous saluons les actions de sensibilisation menées sur le terrain par des associations sœurs en vue de maintenir la cohésion sociale entre les peuples ivoirien et malien.
Cette crise va finir par se résoudre.

Est-ce que l’ingérence de certains pays partenaires dans la gestion interne de nos Etats n’encourage pas les soulèvements et autres insurrections des populations déjà éprouvées ?

S’il y a ingérence, je pense qu’en premier lieu, ceux qui manifestent doivent d’abord demander des comptes à leurs dirigeants. Les soulèvements et autres insurrections auxquels on assiste ne font pas avancer l’Afrique. Tout simplement parce qu’ils ne proposent rien de concret pour la suite. Ils interviennent comme des effets de mode et s’éteignent aussitôt.

Que doivent faire les Etats africains pour éviter toute ingérence dans la gestion interne ?

Tout se trouve dans les accords que nos chefs d’Etat signent souvent sans passer par l’Assemblée nationale pour avoir l’onction populaire. Ce que nous avons vite fait d’appeler ingérence est bien souvent un droit concédé. Combien de citoyens connaissent le contenu des accords qui lient leur pays à une puissance étrangère ? Il faut que de plus en plus que les citoyens exigent à nos dirigeants de connaître tous les termes des accords. Parce que le plus souvent, ce sont ceux que nous portons à la tête de nos Etats qui bradent notre souveraineté.

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