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LE PRIX SOCRATES DÉCERNÉ À MANÉ POUR BOOSTER LA PROTECTION SOCIALE ?

Les Sénégalais ont du cœur ! Pour plusieurs raisons fondées sur diverses convictions, il s’est développé, dans notre pays, une forte culture d’aide et d’assistance. De manière générale, chacun d’entre nous, dans la mesure de ses possibilités, essaie de contribuer. A mon avis, le prix Socratès remis par France Football à notre icone nationale Sadio Mané peut être considéré comme une sorte de reconnaissance de niveau mondial de cette « attitude-valeur », un des ciments de la société sénégalaise. Ce jeune footballeur est effectivement, à lui seul, un condensé de solidarité et d’humilité. Il conforte l’idée qu’il ne faut surtout pas perdre foi en l’humanité « à l’époque où le tissu social paraît s’effilocher de plus en plus vite, où l’égoïsme, la violence et le manque de cœur semblent miner la vie de nos communautés » (Goleman, L’intelligence émotionnelle, 2014). J’aimerais saisir l’occasion de cette récompense à un sportif, certainement l’un des meilleurs d’entre nous, pour exhorter les pouvoirs publics à mieux asseoir l’assistance et la solidarité, ici et maintenant corroborant en même temps l’idée que le sport irradie toutes les sphères de la société !

En ce sens, nous disposons, sur le plan juridique, d’une solide base incitant au social. La Constitution de notre pays, dès la première phrase de son article premier, dit : « La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. » Ce qui autorise à dire que notre République n’est pas que Démocratique et Laïque, elle est aussi sociale.

En réalité, « faire du social » relève quelque part de notre culture, de notre « way of life » bref, de notre quotidien. Certains nous le reprochent. Ils considèrent qu’il s’agit d’un véritable frein à l’épanouissement individuel et au développement parce qu’ici, la solidarité et l’assistance reposant généralement sur la proximité familiale, confessionnelle, amicale voire même géographique, génère, à rebours, une confortable « culture d’assistés » pour des gens qui ne feront aucun effort pour s’en sortir. Pourtant d’autres, plus nombreux à mon avis, considèrent qu’il s’agit d’une valeur forte, porteuse d’un véritable avantage comparatif face aux civilisations occidentales supposées, à tort ou à raison, plus individualistes. En conséquence, et pour moi, la République sociale, celle dont parle la Constitution, ne devrait pas être très difficile à mettre en œuvre via une politique adaptée de protection sociale.

On sait qu’il existe, dans notre pays, un système achevé de protection sociale avec son cadre institutionnel (IPRES, Caisse de sécurité sociale, Délégation à la Protection Sociale, Agence de la CMU…), ses normes (Code du travail et de la sécurité sociale, Textes sur la CMU, Loi d’orientation sociale n° 2010-15 du 6 juillet 2010 relative à la promotion et à la protection des droits des personnes handicapées.…), ses ressources humaines (de réelles compétences et une véritable expertise existent ici) et financières (importantes ressources publiques). Malgré tout, on a toujours l’impression que la protection sociale est beaucoup plus le fait des individus et des familles que celui des institutions dédiées.

Oui, la protection sociale officielle fondée sur le mécanisme de l’assurance, copiée du système de l’ancienne puissance coloniale, ne s’intéresse qu’à ceux qui disposent de revenus et peuvent ainsi contribuer à leur propre prise en charge. Cela pose problème surtout lorsqu’on a une population plus perméable à la culture de la cigale qu’à celle de la fourmi. Je crois, en tout état de cause, qu’il y a lieu de se demander si ce modèle n’est pas en train de s’essouffler. En effet, mettre de côté pour sa propre protection puis essayer de prendre en charge la protection des autres devient une gageure, un vrai exploit de superman que nos compatriotes assument de plus en plus difficilement. En conséquence, les formes de protection sociale fondées sur l’assistance ont gagné énormément de terrain ces dernières années. L’effort mérite d’être soutenu et encouragé.

Mais, très sincèrement, je crois que, pour une meilleure efficacité, la protection sociale doit aujourd’hui être renforcée par une base juridique beaucoup plus solide que le cadre légal actuel (théorie  du  «  droit  structurant  »  par opposition  à  celle  du  «  droit-reflet ») C’est la raison de mon appel à la mise en œuvre de ce concept de République sociale : c’est peut-être le moment idéal pour faire de la Constitution sociale, une réalité

Aujourd’hui, les populations africaines sont essentiellement préoccupées par des questions liées au droit à la sécurité dans un environnement respectueux de la santé. C’est ce qui fait du droit à la protection sociale un défi majeur chez nous voire même, plus largement, dans ce monde contemporain où, ceux qui possèdent sont de moins en  moins  nombreux  alors  que  la grande masse des non possédants s’accroit au jour le jour (Rosanvallon, La société des égaux, 2011). Pour nous, l’urgence demeure ce qu’on appelle pudiquement « lutte contre la pauvreté ». A ce propos, je ne crois pas en l’existence d’une solution miracle immédiate, il faudra du temps pour complètement inverser cette tendance et l’éradiquer. Mais en attendant :

–    d’une part, d’ores et déjà insupportable pour l’être humain, on pourrait commencer à le combattre par l’empathie, « cette capacité à lire dans le cœur d’autrui, à être sensible aux besoins et au désespoir de l’autre », attitude morale qu’exige notre époque. Sadio Mané incarne cette attitude ;

–    d’autre part, au plan du droit, j’estime que poursuivre l’objectif de permettre aux citoyens de vivre décemment devrait pouvoir relever du « domaine réservé du Chef de l’Etat » au sens du droit constitutionnel, concept souvent utilisé pour désigner les champs de la souveraineté dans lesquels on trouve certains ministères et des hommes de confiance du président de la République, élu au suffrage universel.

Loin d’être inconnue dans notre droit positif, c’est à l’occasion d’une révision constitutionnelle en 1969 que la notion de « domaine réservé » a été précisée en ces termes : « …  il est des domaines où le Président de la République, débarrassé de l’exécution des petites  tâches  quotidiennes,  doit conserver  une  responsabilité  directe et totale…

De par leur importance et de par la célérité de l’action qu’ils requièrent, ces secteurs doivent constituer un domaine réservé  au  président  de  la République. Les  actes  que  celui-ci  y accomplit  seront  donc  dispensés de contreseing. Il en est ainsi de la politique étrangère, de la défense, de  l’armée  et  de  certaines  questions touchant la Justice ». Cette révision constitutionnelle de 1969 était un copier-coller de la Constitution Gaullienne de 1958 en France inspirée par un contexte qui n’est pas le nôtre aujourd’hui. Chez nous, je le répète, le contexte est marqué par les urgences sur le social, alors agissons sur le social et consolidons la logique de fonctionnement de notre société avec un fondement social qui repose sur l’empathie tandis que le fondement juridique serait la Constitution du Sénégal. Une ère nouvelle devrait s’ouvrir pour la protection sociale dans notre pays. EDGE y contribuera.

C’est vrai qu’ici on préfère les débats passionnés et passionnants sur les modes de dévolution et de conservation du pouvoir politique, de temps en temps sur les questions de laïcité. C’est bien, mais tout n’est pas que politique pour les populations, il y a de la place pour les « bons cœurs » qui, à la dimension de leurs avoirs, aident et assistent leurs congénères dans le besoin. N’est-ce pas que dans une période de vaches maigres pour notre pays, le Président Diouf parlait de « Dimension sociale de l’ajustement structurel » ?

Professeur Abdoulaye Sakho est Chercheur au CRES, Directeur de l’Institut EDGE.

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