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L’ETAT VEUT-IL REELLEMENT SAUVER LA POSTE ?

Au moment où la crise a atteint son paroxysme, un changement majeur est intervenu à La Poste. Le président de la République a nommé un nouveau Directeur général (Dg).

Le nouveau Dg est un haut fonctionnaire, inspecteur des Impôts et domaines de classe exceptionnelle qui a eu un brillant parcours au sein de l’administration fiscale. En plus de son passage à l’Ecole nationale d’Administration (Ena), il est crédité d’un remarquable cursus académique. Sur un autre registre, le nouveau Dg de La Poste est un politicien chevronné, vainqueur dans sa circonscription, des dernières élections locales et législatives. Pour sa récompense, il était attendu dans l’attelage gouvernemental. En définitive, il est servi à La Poste, nonobstant le contexte qui y prévaut. Il faut bien retenir que la fonction de Directeur général n’est nullement une fonction politique. Par conséquent, il est déplorable que l’on en fasse une règle générale sous nos tropiques.

Il faut rappeler que la situation de La Poste est au centre de toutes les attentions. A côté des principaux concernés que sont les travailleurs et leurs familles, les syndicats, les usagers dont les retraités, les enseignants et les Forces de défense et de sécurité, les plus impactés, on note une forte implication de l’opinion publique. La représentation nationale n’est pas en reste, avec les initiatives des honorables députés, Thierno Alassane Sall, qui a adressé une question orale à l’endroit du ministre, et Guy Marius Sagna, avec une résolution de constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur la situation administrative et financière de La Poste. Il en est de même pour les Sénégalais de la diaspora, qui ont construit un nombre important de bureaux à l’intérieur du pays.

La plupart des réactions revêtent un caractère d’indignation et de colère jusque-là contenue. Et, tout un chacun se veut être le porte-voix de la Société nationale. C’est en ce sens que j’avais adressé une lettre au président de la République (Un postier, fils de postier, écrit au président de la République), publiée dans divers supports : les journaux L’Exclusif du 19 septembre et Le Quotidien des 15-16 octobre 2022, la page Facebook de Oumy Thiaré Tv le 2 octobre et sur Webinfos.sn le 22 septembre 2022, et qui est toujours disponible sur ma page Facebook.

Bref, le nouveau Dg, dans son discours de prise de fonction ce lundi 31 octobre, a fait un brillant exposé sur la situation de La Poste et les perspectives qui se dessinent. On aura cependant relevé sa témérité à faire de la politique vaille que vaille. Au passage, il aura rebaptisé le Plan de relance de La Poste en Plan stratégique d’expansion de La Poste (Pse Poste) ! On espère que les couleurs traditionnelles de La Poste (bleu-blanc), de Postefinances (Jaune-bleu) et d’Ems (orange-blanc) ne vireront pas au marron beige.

L’enseignement que l’on pourrait tirer de cette présentation, c’est que le potentiel de La Poste est large et varié, pourtant, dans les divers canevas de développement répertoriés, ses domaines d’activités stratégiques n’ont pas été mis en avant. Or, les transferts, la messagerie et la distribution constituent des secteurs à forte valeur ajoutée. Tout en soulignant au passage qu’il n’est pas concevable de laisser le terrain à de nouveaux acteurs dont ce n’est pas l’activité principale et pire encore, d’en être des agents commissionnaires (c’est le cas des transferts), quelle hérésie !

Mais, les gens avertis ont dû se rendre compte que l’on ne réinvente pas La Poste. Toutes ces solutions sont des productions de La Poste et de l’Union postale universelle (Upu), consignées dans divers documents et remises au goût du jour chaque fois que de besoin.

Il ne faut pas non plus décrire La Poste comme une entreprise archaïque dont les problèmes relèvent de l’avènement des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic). C’est décidemment mal connaître son histoire. L’évolution de La Poste à travers le monde, y compris le Sénégal, a été marquée par diverses mutations, la contraignant à s’adapter à chaque fois. On aurait pu remonter jusqu’à l’ère des diligences, en passant par les chemins de fer, le bateau et l’avion, les postes, à travers le monde, ont toujours réajusté leurs stratégies en fonction de ces situations nouvelles. Donc, le caractère résilient des postes ne date pas d’aujourd’hui. Mais, pour rester dans l’ère du temps, concernant l’impact des Tic, La Poste a fait face au bug de l’an 2000, au retrait du télex du marché, etc. Quand la Sonatel a retiré le télex de son exploitation, cela signifiait de facto la disparition du mandat télégraphique, le produit phare qui y était adossé. Pour faire face, La Poste a noué une alliance avec Western Union pour les transferts internationaux, le segment impacté, et pour les transferts domestiques, le mandat fax a été créé. Toutes ces initiatives se sont ponctuées par des succès contribuant à augmenter le chiffre d’affaires. Avec l’essor des mails, on parlait déjà de la mort programmée des lettres. En anticipation, le courrier hybride fut conceptualisé. Il s’agissait de la transformation du mail en courrier physique, pour pallier la fracture numérique profonde à l’époque. Et pourtant, le courrier ne s’était jamais mieux porté que durant cette période. C’est pourquoi le concept du courrier hybride a subi un repositionnement plus large, en permettant d’imprimer, de mettre sous pli et de distribuer tout document, en particulier ceux des facturiers. D’ailleurs, cette offre est intégrée dans le Service universel postal en France. Les menaces et opportunités que constituent les nouvelles technologies ne concernent pas uniquement le secteur du courrier. De même, le secteur postal n’est pas le seul impacté par cette révolution.

Par conséquent, la crise de La Poste est à chercher ailleurs, notamment dans la mal gouvernance, et principalement à ce niveau. A moins de vouloir faire passer pour pertes et profits, tout ce qui s’est passé.

Autre mauvaise perception, c’est la relation que La Poste entretient avec le numérique. Il est exagéré de penser que La Poste est encore au stade du manuel. Tous ses produits sont adossés à des applications qui génèrent automatiquement les outputs dont les reçus, bordereaux, avis et autres. Toutefois, force est d’admettre que tout n’est pas optimisé.

La Poste investit énormément dans le numérique. En matériel informatique, elle dépense des centaines de millions en ordinateurs par exercice, les télécoms ne sont pas en reste. Que dire des dépenses en systèmes d’information et autres applications. En l’espace de dix ans, elle a changé quatre fois de système d’information bancaire dont le dernier aurait coûté plus d’un milliard, et aucun n’a donné satisfaction. Une chose est claire, ce ne sont pas les applications qui sont déficientes, car produites par des éditeurs leaders dans le monde et bien éprouvées ailleurs. Alors, où est-ce que le bât blesse ? Généralement, les investissements en technologies constituent des niches (formation, missions…) et sont confiés à un groupuscule de personnes dont la plupart ne sont pas expertes en la matière.

Il est important aussi d’apporter encore quelques précisions concernant la transformation de Postefinances en banque. Il faut dire qu’entre Poste et banque, c’est une vieille histoire. C’est un débat qui est agité depuis plus de trente ans pour ce que j’en sais. Et, par devoir de mémoire, il faut rappeler que la Bhs est un projet de La Poste qui a été détourné au profit du ministère de l’Habitat. Ce qui a ravivé le débat, c’est l’immixtion du Fmi dans le dossier ; dès lors, les pouvoirs publics en ont fait un point de leur feuille de route. La Poste n’a jamais été accompagnée dans sa volonté de transformer ses services financiers en banque. Elle a été farouchement combattue par les lobbys bancaires de la place, bien aidés en cela par la Bceao. La Poste a dans ses hangars des Gab non déployés suite à l’interdiction de la Bceao, mais quand il a été question d’ouvrir un compte de règlement au profit de La Poste, personne ne s’est soucié de la règlementation.

Pourtant, la banque n’est pas la panacée. Dans le classement mondial des postes selon l’Indice intégré de développement postal (2Idp), figurent au sommet des administrations postales qui n’ont pas choisi le modèle de banque postale : Allemagne (propriétaire de Dhl), Autriche et le Japon, pour ne citer que celles-là. La Côte d’Ivoire a tenté l’expérience, qui s’est soldée par un échec, et depuis le mois de septembre dernier, il y a une nouvelle tentative avec un contrat d’alliance avec la Banque d’Abidjan (Bda), qui est une filiale de la Banque de Dakar (Bdk). Ce modèle, avec le même partenaire, a été agité pour La Poste. Toutefois, pour cette nature de partenariat, il faut reconnaître qu’il n’est pas nécessaire que cela soit sous forme d’entrée dans le capital. La Poste développe ce type de collaboration avec des sociétés d’assurance.

Enfin, tous les projets réussis de transformation des services financiers en banque postale le doivent à une forte implication de l’Etat : Maroc, France, Chine, etc. Il est vrai que tous ces aspects sont importants. Pour l’heure, ce à quoi il faut s’atteler, c’est la gestion des urgences et en particulier l’injection de cash dans les comptes. Par conséquent, il serait intéressant de se pencher sur ce qui attend le nouveau Dg. Il devra faire connaissance avec son personnel, établir son budget pour 2023, lever suffisamment de fonds (ce qui constitue la priorité des priorités) et enfin restructurer (ce qui est un long processus).

Traditionnellement, La Poste produit des ressources humaines de qualité, pas tout le temps bien valorisées et utilisées à bon escient. De ses rangs, sont sortis des inspecteurs des Impôts et domaines, des magistrats, des universitaires, des experts comptables, des banquiers, des journalistes, des fonctionnaires internationaux, des maires, des ministres, et que sais-je encore.

Une bonne partie du personnel, qui est pléthorique, est de qualité, bien formée et expérimentée. On en distingue des zélés très dévoués et intéressés qui feront ou feront faire au patron tout ce qui l’arrangera, même si c’est au détriment de l’entreprise ; c’est cette catégorie qui a permis l’exécution de toutes les dérives qui ont pu avoir lieu. Comment choisir alors dans ce contexte ses collaborateurs ? La solution du Dg sortant était simple, je ne touche à rien, j’amène mes hommes et je promeus d’autres selon les affinités et recommandations !! Bien entendu, le staff devient une armée mexicaine.

Depuis deux ans, La Poste fonctionne sans budget approuvé. Les budgets successifs ont été diplomatiquement rejetés, jusqu’à l’aveu d’échec du Dg quant à sa capacité de présenter un budget équilibré. Une projection des résultats des états financiers fait ressortir des déficits de 20 à 25 milliards pour 2021 et 2022. Partant de là, cet exercice d’élaboration du budget devient un casse-tête chinois.

C’est une tautologie que de dire que l’urgence pour La Poste, c’est d’avoir du cash. L’accompagnement promis par l’Etat doit être défini en quantité et en temps pour pouvoir planifier les actions en conséquence. Cependant, ce qui est plus sûr, c’est que La Poste doit chercher son financement par ses propres moyens. Les chantiers de l’Etat sont nombreux et les sollicitations diffuses. La question est de savoir si celui qui n’a pas pu régler le sort des agents de la Sotrac, d’Ama, des agences dissoutes et tant d’autres, pourrait régler celui des postiers ?

Compte tenu de tous ces aspects, il serait légitime de s’interroger sur la volonté de l’Etat de sauver La Poste.

L’impression que l’on a, c’est que les autorités ont une méconnaissance inouïe du fonctionnement d’une entreprise. Elle n’est pas régie par des décrets ou arrêtés. L’entreprise n’est pas non plus un fonds, une agence ou une administration. Elle est dynamique et interagit avec son environnement, son temps n’est pas celui de la politique.

Enfin, a-t-on idée qu’il s’agit du sort de quatre mille (4000) pères et mères de famille, de la préservation de leur dignité ?

Pour le cas de La Poste, l’Etat doit agir autrement et en urgence. Que Dieu garde La Poste.

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