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PROLIFÉRATION DES ORGANISATIONS PATRONALES

Jusque-là, elles avaient plus ou moins échappé au syndrome de l’émiettement qui gangrène plusieurs secteurs d’activité au Sénégal. Mais de plus en plus, les organisations patronales fleurissent comme les syndicats dans le secteur de l’enseignement. En plus des organisations traditionnelles comme le Conseil national du patronat (CNP), le Conseil national des employeurs du Sénégal (CNES) et le Mouvement des entreprises du Sénégal (Medes), il faut désormais compter avec le Club des investisseurs sénégalais (né en 2018) et le tout dernier né, le Club 50 % de préférence nationale porté sur les fonts baptismaux par l’homme d’affaires Abdoulaye Sylla, patron de l’entreprise de BTP Ecotra.

Dans son manifeste publié avant-hier, le fondateur de la nouvelle organisation peste : ‘’En cette heure décisive de la marche de notre pays vers la réalisation de ses grandes ambitions, il s’impose à nous l’urgence de la construction d’un dynamique et puissant secteur privé…’’

A l’en croire, c’est dans le but de ‘’rassembler des forces éparses’’ du patronat sénégalais, de ‘’mettre en synergie des volontés et des aspirations pour construire et consolider le patriotisme économique… que des entrepreneurs sénégalais ont mis en place de Club 50 % de préférence nationale, en vue de veiller au respect du mécanisme adopté par les autorités en matière de local content’’.

Il y a quatre ans, presque les mêmes raisons ont été invoquées par la bande à Babacar Ngom de la Sedima, qui promettait déjà la réalisation du même rêve : ‘’Bâtir un secteur privé national fort et dynamique.’’ Sur le portail de ce groupement, on peut encore lire la profession de foi de son président. ‘’Le CIS travaille à un meilleur accès au marché national. Notre secteur privé n’est pas hégémonique dans son propre pays. Ses parts de marché sont marginales. Il n’y a pas de système préférentiel qui le mette au cœur de l’économie. Notre ambition est d’être le principal maître d’œuvre des politiques publiques de l’État du Sénégal. L’accès à notre marché national doit être naturel et par principe acquis, dès lors que nos entreprises nationales ont les compétences de l’exécuter’’, affirme M. Ngom.

CIS et C50 % PN : Les petites entreprises n’ont qu’à aller voir ailleurs  

Au-delà des missions qu’elles se sont assignées, les deux organisations patronales ont en commun de mettre en place des barrières financières importantes à l’entrée. Tout comme il fallut être d’une certaine assise financière pour adhérer au CIS, il faudra remplir des conditions draconiennes pour faire partie du nouveau club. Il y a quelques jours, le journal ‘’Source A’’, qui révélait la mise en place de l’organisation, informait qu’une enquête de moralité a même été proposée à l’endroit de tout nouvel adhérent, pour fermer la porte à toute société ‘’bidon’’.

Dans son manifeste, l’homme d’affaires s’est voulu plus mesuré et diplomate. Il déclare : ‘’Ce club, espace de réflexion, de partage et de dialogue entre entreprises crédibles, saines et soucieuses de l’intérêt national, envisage d’accompagner les autorités publiques dans le processus de prise de décision au service de l’intérêt national.’’

Selon lui, toutes les initiatives patronales locales, bien que salutaires, font face à des limites objectives. ‘’Il convient d’aller plus loin par l’ouverture de concertation avec toutes les parties prenantes, en vue d’adopter des mécanismes adéquats et fermes pour contraindre au respect de la préférence nationale, à l’instar de ce qui se fait dans quelques pays africains émergents’’, a-t-il renchéri.

Interpellé sur cette prolifération des organisations patronales, le président de la Commission économique et financière du CNES, Alla Sène Guèye, regrette : ‘’Il faut vraiment le regretter. Nous sommes à l’heure des grands ensembles, pas de la division. Nous avons un État qui est solide, qui fait beaucoup d’efforts pour le privé national. Il faut un patronat uni, qui parle d’une même voix pour l’accompagner parce que ce n’est pas évident.’’

La résistance des patronats traditionnels, seuls présents dans la principale instance de décision : l’ARMP

Mais est-ce que cette prolifération ne traduit pas un échec des anciennes organisations ? De l’avis de M. Guèye, c’est un faux procès que l’on fait parfois aux anciens. Il rétorque : ‘’Je ne vais vous citer que deux exemples concrets sur les résultats obtenus grâce à ces organisations. Dans le projet de nouveau Code des marchés adopté lors du dernier Conseil des ministres, avant-hier, il est stipulé que, désormais, pour toute offre spontanée, la garantie de l’État qui était demandée par les étrangers est maintenant réservée aux entreprises sénégalaises et communautaires (de l’UEMOA, NDLR). Cela veut dire que pour les offres spontanées, si vous êtes une entreprise étrangère, vous devez trouver des financements extérieurs et non avec les ressources de l’État. Mais si vous êtes une entreprise communautaire, vous pouvez avoir accès à cette garantie. Et c’est une proposition du président du CNES, Adama Lam. C’est extrêmement important.’’

En outre, signale-t-il, des avancées notoires ont été accomplies dans le domaine de l’opérationnalisation des dispositions relatives à la marge de préférence. ‘’L’entreprise qui a des biens fabriqués dans l’UEMOA a une marge de préférence de 15 %. Cela veut dire que quand vous utilisez des biens locaux, même si vous êtes plus cher de 15 %, vous pouvez gagner le marché. Dans le nouveau code, on a éclairci comment accéder à cette marge. Mieux, on demande à ce que cela soit noté dans le dossier d’appel d’offres types. Tout ça, c’est grâce à la lutte menée par ces organisations patronales traditionnelles qui sont présentes au niveau des instances de décision, en particulier de l’Autorité de régulation des marchés publics où les réformes sur les marchés publics sont discutées. Nous avons tous intérêt à les renforcer’’. 

Avant ces nouvelles réformes, le secteur privé avait réussi à obtenir de l’État la réservation de tous les PPP de moins de cinq milliards. Ce qui signifie que pour ces catégories de marché, les étrangers sont exclus.

Du côté du Club 50 % de préférence nationale, les ambitions sont bien plus grandes. Comme le nom l’indique, Abdoulaye Sylla et Cie veulent 50 % des marchés. Selon ‘’Source A’’, ils ont même décidé de ne plus accepter que des entreprises étrangères leur sous-traitent en deçà de 30 % des marchés, conformément aux lois en vigueur.

D’ailleurs, lui-même aurait dit niet récemment au groupe Vinci qui voulait lui sous-traiter moins de 30 % du marché relatif au barrage de Sambangalou, avant que les autorités s’en mêlent. Comme si c’est la principale raison qui a précipité la naissance de l’organisation dont il revendique la paternité et qui a l’ambition d’aller bien loin que les 30 %.

‘’Les ressources publiques mobilisées par l’État du Sénégal financent des infrastructures qui sont souvent réalisées par des entreprises étrangères qui, dans l’exécution des marchés, contournent les dispositifs légaux en matière de ‘’Local Content’’ et pratiquent la sous-traitance de tâches unitaires au profit des entreprises locales. Or, l’état d’esprit de la loi portant sur la préférence nationale est de concéder des segments importants des marchés aux entreprises sénégalaises, afin de permettre leur montée en compétence et en valeur’’, lit-on dans sa profession de foi.

Alla Sène Guèye, CNES : ‘’Il faut veiller d’abord à bien exécuter les marchés qui nous sont confiés, avant de réclamer plus’’

Au niveau du CNES, on prône une démarche méthodique, allant pas à pas. Alla Kane Guèye : ‘’On ne peut se lever et réclamer 50 % comme ça. Déjà, dans les PPP, on a 100 % pour les marchés de moins de cinq milliards F CFA. C’est beaucoup de marchés. Pour moi, il faut veiller à bien exécuter les marchés qui nous sont réservés et après, on pourra demander plus.’’

Dans la même veine, M. Guèye, interrogé sur les multiples défaillances et lenteurs dans les ouvrages confiés à des locaux, tente de répondre : ‘’Il faut plutôt se demander si les marchés ont été donnés au vrai secteur privé national. Est-ce qu’on les donne aux entreprises sérieuses ? Pensez-vous qu’une entreprise sérieuse qui gère son image va se permettre certaines choses ? Mais non ! Maintenant, si vous faites n’importe quoi, il faut des sanctions. C’est aussi simple que ça.’’

Par rapport aux entreprises supposées sérieuses et qui peinent dans certains projets, il explique : ‘’Parfois aussi, il faut se poser la question sur la manière d’octroyer les marchés. Les gens demandent aux nationaux des commissions qu’ils ne vont jamais demander à des étrangers, par exemple. Après, ces derniers se voient contraints de colmater à gauche et à droite pour s’en sortir. C’est tout cela à la fois. Sinon les compétences ne manquent vraiment pas.’’

Des patrons incapables d’impulser l’industrialisation

Malgré leur présence en nombre, les organisations patronales peinent, jusque-là, à relever le plateau industriel local, en déliquescence depuis plusieurs années. Pour Alla Sène, leur présence ne suffit pas. Il faut un État stratège qui met en place les conditions. Il déclare : ‘’Pour développer l’industrie, il faut des champions.

C’est là où l’on a besoin des étrangers. Au Maroc, par exemple, tout le secteur automobile est structuré autour de Renault. Ainsi, c’est 300 000 emplois de créés. Renault fabrique des véhicules dont 65 % du contenu est marocain. Il dessert 80 pays, y compris des pays de l’Europe de l’Est à partir du Maroc. C’est comme ça qu’on construit le tissu industriel. Il faut démarrer par un écosystème. Et pour ce faire, il faut un État stratège. Au Maroc, si tu regardes le ministre de l’Industrie, tu sens que c’est un véritable stratège.’’

Selon le président de la Commission économique du CNES, le Sénégal a un atout majeur avec le pétrole et le gaz. ‘’On est en train de nous parler de ‘Gas to Power’. C’est une bonne chose. Mais, il y a aussi le ‘Gas to Industry’. L’industrie des polymères, c’est tout ce qui est emballage ; on peut aussi développer tout ce qui est coffret électrique, électronique avec ces hydrocarbures, les couches, les tissus… Tout ça, c’est des produits pétroliers. Il s’agit de dire que ‘Gas to Power’ c’est bien, mais ‘Gas to Industry’, c’est encore mieux’’.

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