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LE MARIAGE DE CHEIKH YERIM SECK, UNE LÉGITIMATION DE LA CULTURE DU VIOL

Baol Baol, militante pour les droits des femmes, membre fondatrice du Collectif des Féministes du Sénégal, Awa Seck a jeté un pavé dans la mare par un tweet sur le récent mariage de Cheikh Yérim Seck et Astou Dione. Connue par son pseudo “La Moussoreuse”, elle assume sa prise de position et la clarifie pour Seneweb. Entretien.

En commentant sur Twitter le mariage de Cheikh Yérim Seck et Astou Dione, vous n’avez pas mâché vos mots : “réhabilitation de violeurs”, “conséquence de la culture du viol”, “prédateurs adulés”. Pourquoi avoir senti le besoin de porter une prise de position aussi forte et controversée ?

Ma prise de position n’est pas controversée, elle est très claire et s’inscrit dans notre lutte contre les violences sexuelles et sexistes au Sénégal.

Dans notre société, le viol est toujours banalisé. Les violeurs vaquent tranquillement à leurs occupations sans aucune vergogne ni sentiment de honte alors que les personnes violées disparaissent de l’espace public et sont donc doublement victimes. On ne peut pas continuer à détruire les femmes sans conséquence pénale ou sociale.  Les violeurs doivent faire profil bas.

Les agressions à caractère sexuel constituent les formes les plus répandues de violences. Elles se déroulent dans la sphère publique ou dans le cadre familial et causent des conséquences  néfastes aux victimes.

Selon l’Association des Juristes du Sénégal (AJS), le viol et la pédophilie occupent la première place de ces violences, et les chiffres enregistrés pour l’année 2020-2021 dans les huit (8) boutiques de droit le confirment avec plus de 260 cas signalés, sur des victimes dont la tranche d’âge varie entre 03 et 48 ans. A noter que la majorité de ces dossiers sont en instruction et jusqu’à ce jour aucune décision n’a été rendue.

Nous vivons dans un pays où un homme peut refaire sa vie peu importe le crime qu’il a commis s’il est influent, riche ou fait partie d’un cercle de privilégiés, ce qui est le cas de Yérim Seck. La culture du viol au Sénégal persiste grâce à notre environnement social et médiatique dans lequel les violences sexuelles sont toujours justifiées, excusées, banalisées voire acceptées.

C’est un environnement qui culpabilise les femmes et jeunes filles en faisant peser sur elles la responsabilité du crime. N’oublions pas de rappeler que le viol est un crime. Malgré la loi 2020- 05 criminalisant le viol et la pédocriminalité  modifiant la loi n° 65-60 du 21 Juillet 1960 portant code pénal visant à durcir la répression du Viol et de la Pédophilie avec des sanctions pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité a été adoptée et promulguée le 13 janvier 2020, l’impunité règne toujours.

Dans un pays où très peu de viols sont déclarés, dénoncés et poursuivis, la parole de la victime est fragile face aux accusations.

Mais quel rapport entre ce que vous venez de décrire, et le mariage qui a été célébré le week-end dernier ?

Ce mariage symbolise tout ce que ce pays pense de ce crime.

N’oublions pas qu’à sa sortie de prison, Yérim a été récompensé avec une émission de télé et qualifié du plus grand analyste politique du pays. Un pays qui a tellement d’hommes intelligents et jeunes, comment peut-on faire de lui un rôle modèle ? Non seulement il est réhabilité mais adulé.

De plus en plus de victimes seront réticentes à dénoncer leurs agresseurs parce que la société sénégalaise excuse les violeurs comme Yérim, symbole de l’impunité.

Certains vous reprochent une forme d’acharnement sur Cheikh Yérim Seck. Vous donnez l’impression de vouloir sa “mort” professionnelle et sociale. N’a-t-il pas droit à une seconde chance ?

Soyons clair, la vie professionnelle de Yérim ne m’intéresse pas, socialement il doit se faire discret. Dans un pays normal, les violeurs font profil bas, nous luttons contre l’impunité des agresseurs sexuels comme lui.

Il est important de rappeler qu’il n’a pas été gracié, il bénéficie d’une liberté conditionnelle à laquelle il n’a pas droit, ce qui n’est pas normal. Des jeunes croupissent en prison pour des faits beaucoup moins graves.  Yérim a reconnu les faits de viol, condamné en première et deuxième instance par la justice sénégalaise en septembre 2012, sa peine réduite il est sorti en janvier 2013. L’AJS et d’autres organisations des droits de l’homme ont contesté à l’époque cette libération.  Ils ont exigé que l’Etat rectifie le tir et que la tolérance zéro soit la règle en cas de viol.

Parmi les motifs de grâce, le viol n’en fait pas partie.

Les citoyens sont d’égale dignité et doivent être punis à hauteur de leur crime.  Ce n’est pas un acharnement sur la personne de Cheikh Yérim Seck, l’acte qu’il a commis est un acte grave qui a porté atteinte à la dignité d’une jeune fille.  En continuant à se pavaner partout, il contribue à banaliser le viol et ceci nous ne pouvons l’accepter.

À Diourbel, un conducteur de Jakarta a été condamné à 15 ans de prison pour tentative de viol. On voit clairement le traitement « coumba am ndeye ak coumba amul ndeye ». Une société juste ne devrait pas être indifférente face à un tel double standard.

Yérim ne s’est jamais excusé, n’a jamais regretté ce qu’il a fait.

Nous continuerons, je continuerais à dénoncer la culture du viol tant qu’il ne paiera pas sa dette. D’ailleurs à sa libération, Moustapha Fall, président du réseau des journalistes contre le viol (oui ça existe), disait que : « les auteurs de viols sont des poisons pour la société. Ils doivent être mis hors d’état de nuire, on doit les castrer, les piquer…qu’ils soient journalistes, ministres, députés ou directeurs de sociétés, ils doivent tous croupir en prison ».

Nous avons tous été témoins, ces dernières semaines, de comment la société sénégalaise traite injustement des femmes qui n’ont commis aucun crime, leur reprochant leur divorce, remariage, leur courage de vouloir vivre heureuse.  On les accuse de ne pas être de bons exemples pour les femmes. De l’autre côté, ces mêmes personnes félicitent Yérim, personne ne dit qu’il est un mauvais exemple pour les garçons et hommes de ce pays.

Je n’ai pas le temps de m’acharner sur Yérim, je parle de lui parce qu’il continue à faire un doigt d’honneur aux femmes, aux victimes et aux survivantes de violences sexuelles. En effet en juin 2021 le collectif des féministes du Sénégal a organisé un sit-in suite à l’agression sexuelle d’une fille mineure de 15 ans par le fils de Yerim Seck qui a tout filmé et publié la vidéo. Son père a voulu étouffer l’affaire. C’est suite à notre mobilisation que le jeune homme a été cueilli par la justice et encore une fois libéré (#JusticePourLouise).

On entend toujours, “ quel exemple, quel message envoie-t-on aux garçons et hommes de ce pays ?” Et les victimes dans tout ça ?

Dans cette affaire, d’autres vous reprochent aussi votre critique implicite du choix de vie de Astou Dione, accusée de participer à la “réhabilitation” d’un “violeur”. Par son mariage, trahit-elle réellement la cause des femmes ?

Comme tout le monde j’étais contente à l’annonce de son mariage dans ses stories. Elle n’avait pas encore donné l’identité de l’heureux élu. Lorsqu’elle l’a publié et je ne suis pas la seule, ce fut un choc de découvrir l’identité du marié : un violeur en liberté conditionnelle.

Les féministes sont pro-choix, nous luttons pour que chaque femme ait la liberté de décider de sa vie personnelle, professionnelle, sociale sans risquer d’être en danger.

Nous soutenons toujours les femmes parce qu’elles sont des victimes du système. Mais les femmes sont malheureusement les plus fidèles alliées du patriarcat. Les choix de vie de Astou Dione ne nous concernent pas mais quand ils contribuent à faire revenir un prédateur sexuel sur la scène, on s’octroie le droit d’en parler.

En tant que militante contre les violences faites aux femmes, son choix amène beaucoup de questions. Surtout pour les victimes qui voyaient en elle une défenseure de par ses positions sur le viol, la loi criminalisant le viol, qui selon elle manque de rigueur dans son application.

Si la loi justice sénégalaise était rigoureuse avec Yerim Seck il n’aurait pas la réhabilitation qu’il a eu aujourd’hui parce que les peines étaient de cinq à dix ans à l’époque.

On ne peut pas demander aux citoyens de rester neutre face à son choix, celui d’un violeur condamné et en liberté conditionnelle. En tant que militante et pour ce qu’elle représente, c’est assez troublant.

Vous avez tantôt parlé de double standard. Ne peut-on pas vous faire le même reproche : forte contre Yérim Seck et faible contre Ousmane Sonko dans l’affaire Adji Sarr ?

Je suis très contente que vous posiez cette question, je trouve très dommage que nos détracteurs, ces hommes et certaines femmes qui ne s’engagent que selon leur appartenance politique nous attribuent des combats de circonstances.  Qu’attendent-ils pour agir pour leurs sœur, mère, épouse, tante, fille, comme c’est la seule condition pour qu’une femme mérite d’être traité avec dignité dans ce pays.

Le collectif féministe dont je fais partie a toujours soutenu Adji Sarr, nous soutenons toute femme qui dit être sexuellement abusée sans conditions. D’ailleurs lors de notre sit-in, on lui a montré tout notre soutien, on continue de le faire, elle est aussi assistée par des femmes incroyables mais tout n’est pas sur internet .

L’affaire Adji Sarr est encore une conséquence de comment on traite la parole des femmes et des hommes puissants dans ce pays : les femmes sont considérées comme des citoyennes de seconde zones, les hommes hyper protégés.

Personnellement il suffit d’aller sur ma page facebook et taper Adji Sarr vous verrez tous mes posts de soutien.  J’ai toujours dénoncé l’inégalité de traitement entre Sonko et Adji Sarr depuis que l’affaire a éclaté. Sa vie a été fouillée, sa réputation salie, des enquêtes sur elle.

Adji est une fille sénégalaise lambda victime de la culture du viol qui culpabilise une fille célibataire qui a essayé de gagner sa vie comme elle peut, personne n’a le droit de porter atteinte à son intégrité. Un homme polygame a laissé femmes et enfants pour aller dans un institut de beauté en plein couvre feu, c’est lui qu’on croit pas une pauvre fille.

Sonko est un homme puissant, privilégié qui utilise son pouvoir et ses gens dans une société sénégalaise où les femmes qui brisent le silence sont brisées. Nous sommes dans un environnement social qui culpabilise les femmes quant à leurs tenues et apparences pour faire reposer sur elles la responsabilité de l’agissement d’un homme adulte souvent beaucoup plus âgé, deux fois son âge pour elle.

Il appartient aux hommes adultes de se contrôler, respecter leurs familles, femmes, d’avoir une certaine moralité, éthique quand ils ont pour ambition de diriger ce pays, être journalistes comme Yérim ou d’être des modèles pour cette jeunesse.

Pourquoi n’ a pas appliquée la même démarche sur la vie privée de Sonko ? Non, une victime doit être irréprochable, et son agresseur « non sa vie privée ne nous intéresse pas » disent ses partisans.  Adji Sarr  sache que nous te soutenons quelle que soit l’issue.

En dehors des affaires médiatisées, tous les jours on accompagne des femmes broyées par un système qui protège les hommes et fait tout reposer sur les femmes et jeunes filles.

Chacune de nous a un travail, une famille, des occupations et nous ne sommes pas payées pour notre militantisme. Nous combattons le patriarcat, les oppressions des hommes, sur les femmes par principe.

Nous disons “victime je te crois” pour permettre aux personnes vulnérables de briser le silence dans une société où elles sont stigmatisées.

Pour ceux qui ne prennent pas la peine de savoir c’est quoi le féminisme : le féminisme est politique donc pluriel il y’a autant de féminismes donc de modes d’actions. L’essentiel est que nous avons un objectif commun : lutter pour avoir une société juste où les hommes et femmes sont égaux en droit pour éradiquer les violences.

Nous militons contre les violences sexuelles, économiques, l’accès à l’éducation des filles, les mariages forcés, l’accès à la santé des femmes. Cela fait des mois que beaucoup de femmes perdent la vie en donnant la vie, dans notre collectif il y a des femmes spécialisées selon les domaines.

Je suis très sensible à la mortalité maternelle et infantile. En effet, j’ai perdu ma mère quand j’avais 8 ans à cause d’une mauvaise prise en charge, elle était enceinte de 9 mois. Cela fait 35 ans que les femmes décèdent toujours en donnant la vie. Lutter contre les violences obstétricales fait aussi partie de nos combats.

Ce que nous défendons est un principe de droit humain, de respect de la dignité et de l’intégrité physique des femmes, ce n’est pas notre combat, cela doit être le combat de chaque citoyen sénégalais sans conditions.

Arrêtez de demander où sont les féministes ? Ne nous attendez plus, on est tous concernés !

Dans cette polémique, vous prenez aussi des coups souvent sexistes d’ailleurs, les attaques classiques contre les défenseurs des droits des femmes : “frustrée”, “jalouse”, “aigrie”, “mal baisée”. Comment vivez-vous avec ça et qu’est ce que cela traduit du climat de notre pays ?

Je suis féministe radicale, femme, entrepreneure, épouse, mère, épanouie, malheureusement on a l’habitude des attaques, insultes. Cela m’encourage encore plus dans mon militantisme. J’ai été élevée à Diourbel par un père (que Dieu ait pitié de son âme) qui s’est toujours battu pour que ses filles choisissent leur vie. Donc ce ne sont pas des hommes fragiles qui vont m’empêcher de parler, d’agir pour ce qui est juste.  On a vraiment reculé parce que mon père, délégué syndical et compagnon de Cheikh Anta Diop, était plus déconstruit que nos harceleurs.

Ces hommes qui nous traitent de frustrées, mal baisées sont sexistes et misogynes. Jamais ils ne parlent de cette façon des militants comme Guy Marius Sagna ou Assane Diouf, Clédor Sène.  Et puis aigrie n’est pas une insulte parce les féministes non-mariées préfèrent rester seules qu’être avec un homme qui abusent d’elle. Seuybadeh du ngoreu. Ce que nos mères ont accepté elles nous ont éduquées pour avoir ce qu’elles n’ont pas eu.

Des femmes font aussi partie de ces harceleurs, nous ne leur en voulons pas, à la fin de la journée tout droit acquis, tout combat gagné profite à toutes les femmes. Il est très difficile de faire ce qu’on fait dans une société comme la nôtre, il faut beaucoup de courage pour aller à contre-courant de ce que les hommes qui bénéficient du patriarcat qui nous oppressent, attendent des femmes. C’est aussi une stratégie de protection pour ces femmes. En effet, les femmes qui osent bouger de leurs places sont sévèrement punies.

Nos ancêtres Mariama Bâ, Caroline Faye, toutes les femmes qui nous ont permis aujourd’hui d’accéder à l’éducation étaient aussi attaquées, mais elles ont tenu. Nous avons un héritage de femmes battantes, qui défendent une société plus juste où toutes les femmes vivent en sécurité sans craindre pour leur intégrité physique ou leur vie.

Les féministes sont des régulatrices, nous savons qui nous sommes, d’où nous venons, décomplexées et décolonisées. La plupart des attaques c’est sur notre physique cela en dit plus sur eux que nous. Nous ne recherchons pas la validation des hommes pour savoir ce qui est bien pour nous et comment y arriver, c’est normal qu’ils aient peur.

Nous avons compris leurs stratégies pour faire taire, silencer toute femme qui dénonce les violences économiques, sexuelles, sexistes dont les femmes sénégalaises sont victimes.

Nous sommes la voix des sans voix, nous ne sommes pas nombreuses mais assez pour faire bouger les lignes. Soit on s’en sort ensemble soit on coule ensemble, aucune femme n’est en sécurité nulle part.

Le Sénégal est devenu un pays qui n’est plus sûr pour les femmes et je suis de plus en plus inquiète pour nos filles qui sont quotidiennement confrontées aux harcèlements de rue, violences dans les familles dont l’inceste etc.

Notre société est extrêmement violente envers les femmes et très conciliante avec les hommes violents. Ce constat devrait alarmer tout sénégalais.

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