ACTUALITES

L’OIGNON, ENTRE CHERTE ET RARETE, LES RAISONS D’UNE DEREGULATION

L’oignon est rare et cher ces temps-ci. Une situation récurrente malgré les tentatives de l’État pour réguler le secteur. Entre gel et ouverture des importations, un soutien faible aux producteurs et l’insuffisance des infrastructures de stockage, les acteurs identifient les « raisons d’une dérégulation ».

Un sac d’oignons à presque 50 000 FCfa. Cette nouvelle, venue de Touba, la semaine dernière, a ému plus d’un. Une situation déplorable aussi bien pour les clients que pour les producteurs locaux. La faute n’est pas du côté de ces derniers, selon Malick Bâ, président des producteurs des Niayes. Pour lui, ces derniers ont fait leur part du boulot qui était de produire en quantité. « Notre responsabilité est de produire. Et nous l’avons fait. Dans toutes les zones, les récoltes ont été au rendez-vous », soutient-il. Quels sont alors les facteurs d’une dérégulation ? M. Bâ semble avoir la réponse. À ses yeux, le bât blesse dans l’organisation et l’accompagnement de l’État. « Le problème de la filière, c’est d’abord les pertes post-récolte causées par l’insuffisance d’infrastructures de stockage. Ainsi, les producteurs sont obligés de tout brader et de constater, ensuite, une pénurie occasionnant l’explosion des prix », remarque-t-il. Cette situation vécue actuellement pouvait être évitée s’il y avait un système d’accompagnement efficace en moyens techniques et financiers. « La quantité d’oignon perdue équivaut à quatre mois de consommation. Donc, les pertes post-récolte participent à la rareté du produit et à l’envolée des prix », souligne Malick Bâ.

À côté des producteurs, les commerçants constituent un maillon essentiel de la chaine. Listant les raisons d’une dérégulation, le Directeur exécutif de l’Association des commerçants et industriels du Sénégal, Oumar Cissé, déplore la spéculation. « Ceux qui avaient des stocks encore disponibles ont spéculé. Et nous ne cautionnons pas ces actes. Mais, notons qu’il y a des brebis galeuses partout », regrette-t-il.

Plus de 100 milliards de FCfa de retombées pour l’économie locale

En dépit de ces deux facteurs, Oumar Cissé pointe du doigt le retard des importations. « La rareté de l’oignon est aussi due au retard de la levée du gel des importations, intervenue le 12 août. Et tenez-vous bien, si nous n’avions pas anticipé, le sac aurait pu coûter 100 000 FCfa », assure-t-il.

Évoquant, à son tour, les raisons d’une dérégulation, le Directeur de l’Autorité de régulation des marchés (Arm), Amadou Abdoul Sy, soutient que d’importants efforts sont faits dans ce cadre. « La production locale a occupé le marché du 1er janvier au 11 août 2022. Ainsi, les importations ont repris le vendredi 12 août. Depuis lors, 8000 tonnes d’oignons ont été importées, mais cela ne couvre pas totalement la demande. L’année passée, le prix d’achat maximum en Hollande était de 8 € (5240 FCfa). Cette année, il est de 13,80 € (9000 FCfa). Ce renchérissement est dû à de mauvaises récoltes, une rotation lente des bateaux et un coût du fret élevé », explique-t-il. Pour lui, le gel des importations aussi a des avantages, notamment pour la balance commerciale. « Le gel des importations d’oignon a duré du 1er janvier à mi-août pour l’oignon. Quand on estime le niveau de consommation de 30 000 tonnes pour l’oignon, 7500 tonnes pour la pomme de terre et 3000 tonnes pour la carotte, avec des prix de 200 000 FCfa/la tonne d’oignons, 250 000 FCfa pour la pomme de terre et à 125 000 FCfa pour la carotte, vous conviendrez avec moi que plus de 100 milliards de FCfa ont été générés par le gel comme revenus des producteurs et des transporteurs. Les commerçants aussi font des chiffres d’affaires importants. En plus, rester huit à dix mois sans importation améliore aussi notre balance commerciale », développe Amadou Abdoul Sy.

MAGAL, GAMOU…

L’approvisionnement sécurisé

Pour M. Sy, il est anormal que le kilogramme d’oignons soit vendu à 1500 FCfa alors que le sac coûte 14 000 FCfa. « On s’est battu dès qu’on a eu l’information sur Touba pour la disponibilité du produit. Et dans la même journée, trois camions ont été chargés et près de 7000 sacs livrés dans la ville sainte. Les investigations menées par le Service départemental du commerce de Mbacké ont permis de constater des infractions de rétention de stocks qui ont abouti à des saisies et des amendes contre les auteurs », souligne-t-il. Malgré tout, la tension persiste alors que le Magal et le Gamou, deux importantes fêtes religieuses, se profilent à l’horizon. Ainsi, les autorités mettent les bouchées doubles pour rétablir la situation. « À la suite des évènements qui ont eu lieu à Touba, le Comité de veille sur les approvisionnements s’est réuni, le mardi 23 août, pour échanger avec tous les acteurs. De manière spécifique, l’Arm et la Dci (Direction du commerce intérieur), ont été instruit de rencontrer les importateurs des filières oignon et pomme de terre. Cette réunion a constaté l’arrivée de quantités d’oignons entre le 24 août et le 13 septembre et qui sont capables de couvrir les besoins du pays », rassure le Directeur de l’Arm.

COHABITATION ENTRE L’OIGNON LOCAL ET CELUI IMPORTÉ, FLEXIBILITÉ DES PROCÉDURES

Les doléances des commerçants

Plus jamais ça, semble dire le Directeur exécutif de l’Association des commerçants et industriels du Sénégal (Acis), Oumar Cissé. Ainsi, il formule des recommandations, parmi lesquelles une cohabitation entre l’oignon local et l’oignon importé que pendant un mois. « Il faut opter pour une cohabitation, ne serait-ce que pendant un mois, pour éviter la rareté du produit. Quand le produit est disponible, les prix chutent forcément », explique Oumar Cissé. Pour lui, il faut également de la diligence dans le traitement des procédures douanières. « Dix de nos conteneurs ont été bloqués au port en pleine crise. Il faut plus de diligence pour faciliter l’approvisionnement correct du marché. Nous faisons l’ensemble des formalités, mais peinons à sortir la marchandise à temps », déplore-t-il. Ces mesures doivent, à son avis, être accompagnées par un soutien aux producteurs locaux afin de favoriser les exportations.

ABOU MBAYE, DIRECTEUR DU MARCHÉ D’INTÉRÊT NATIONAL

« Il faut que cette situation serve de leçon à tout le monde »

Le Marché d’intérêt national de Diamniadio va ouvrir ses portes le 1er septembre prochain. Il peut être d’un apport considérable dans le stockage et la commercialisation des produits agricoles à des prix raisonnables, soutient son Directeur général, Abou Mbaye. Pour lui, tout ce qui est achat et vente en gros doit désormais se faire au niveau de ce marché. « Il faut, aujourd’hui, que l’État prenne ses responsabilités, car on ne peut pas laisser les gens faire ce qu’ils veulent et quand ils le veulent. On a investi 55 milliards de FCfa pour cette infrastructure. Aujourd’hui, il y a des structures, telles que le Marché d’intérêt national, qui doivent être des lieux d’achat et de vente en gros. À partir de là, les services du Ministère du Commerce peuvent réguler les prix à l’intérieur du marché », suggère-t-il. M. Mbaye rappelle que ces derniers mois, les producteurs de Ngomène avaient été autorisés à stocker environ 4000 tonnes d’oignons au niveau du Marché d’intérêt national. Et ce sont les marchés qui sont venus acheter sur place. Preuve, selon lui, que ce modèle peut marcher. La construction d’un hangar sur sept hectares permettra, à ses yeux, de faciliter le stockage et la commercialisation tout en luttant contre les pertes post-récolte. « Aujourd’hui, nous avons une extension de sept hectares. Nous voulons, d’ici la saison prochaine, bâtir un hangar de sept hectares pour résoudre les problèmes de stockage. Et ce sera aussi un lieu de vente et d’achat où l’Arm et le Ministère du Commerce vont fixer les seuils de vente. Ainsi, nous aurons la maîtrise des productions et des produits », ajoute Abou Mbaye. Pour lui, la rareté et la cherté de l’oignon constatées récemment doivent constituer une leçon. « Il faut que cette situation serve de leçon à tout le monde et qu’on prenne des décisions fortes. Tout ce qui doit se faire en gros doit passer par le marché d’intérêt national, car les gros porteurs vont désormais s’y arrêter. Il faut des décisions fortes des autorités pour mettre fin à la bamboula », estime-t-il.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page