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AU-DELÀ DU FOOTBALL

Vingt-deuxième édition de la Coupe du monde. Des footballeurs sont au Qatar et chez eux en même temps. Courant sur des terrains, vibrant dans des cœurs de supporters. Un horizon de se dissoudre dans le football sous le prisme duquel un autre monde serait possible. Un au-delà de l’impossible à réaliser. Albert Camus, ancien gardien de but au Racing universitaire d’Alger dans les années 1930, disait : « Pour moi, je n’ai connu que dans le sport d’équipe, au temps de ma jeunesse, cette sensation puissante d’espoir et de solidarité qui accompagne les longues journées d’entraînement jusqu’au match victorieux ou perdu. Vraiment, le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités. »

Dribbler pour sauver sa peau
De cette université du football, des Brésiliens sont diplômés « ès dribble ». Selon Mickaël Correia, auteur d’Une histoire populaire du football, l’avant-centre Arthur Friedenreich (fils d’un riche allemand et d’une lavandière brésilienne à la peau noire) était victime du racisme des arbitres. Les fautes que ses adversaires pratiquaient sur lui n’étaient pas sifflées. Arthur était contraint « à élaborer de subtiles feintes de corps afin d’esquiver leurs charges violentes lors de ses accélérations. Ainsi naît le dribble au Brésil, analyse le journaliste et écrivain Olivier Guez. Ruse et technique de survie des premiers joueurs de couleur, le dribble leur évite tout contact avec les défenseurs blancs. Le joueur noir qui ondule et chaloupe ne sera pas rossé, ni sur le terrain ni par les spectateurs à la fin de la partie ; personne ne l’attrapera ; il dribble pour sauver sa peau ».

Le football et le racisme, c’est une longue histoire. Carlos Alberto, le premier footballeur brésilien métis, se blanchissait « la peau avec de la poudre de riz avant d’entrer sur le terrain ». C’était en 1914. À cette époque, les noirs étaient interdits de jouer et d’assister aux matchs. En 1921, un « décret de blancheur » signé par le président de la République. Un texte relatif à la composition de l’équipe nationale brésilienne où ne devait être admis que « le meilleur de notre élite footballistique, les garçons de nos meilleures familles, les peaux les plus claires et les cheveux les plus lisses ». Au Sénégal, les auteurs de Sociologie du football (les universitaires Stéphane Beaud et Frédéric Rasera) écrivent : « Quand est créée, à Dakar, en 1929, l’Union sportive indigène (la première équipe exclusivement formée d’Africains), le père Lecoq, qui dirige la Jeanne d’Arc, menace d’excommunication ses joueurs s’il leur vient à l’idée de jouer contre son équipe. » Selon les universitaires sus cités, d’après l’historien Pascal Dietschy, en 1928, le général Jung, commandant supérieur des troupes de l’Aof (Afrique occidentale française), soutenait que le football était compliqué pour les « nègres », « avec de la patience on peut arriver à leur faire comprendre le rôle de chaque joueur, la place qu’il doit tenir et surtout l’importance et le but de la passe ».

Un outil de propagande et de combat
Le football reste un élément d’affirmation et d’émancipation. Un outil de propagande, de mobilisation, de combat contre des dictatures, le colonialisme, le nazisme… Staline considérait que l’Union des républiques socialistes soviétiques (Urss) devait « devancer systématiquement les performances des athlètes bourgeois des pays capitalistes ». Lors de la Deuxième guerre mondiale, dans une Ukraine occupée, « l’équipe des boulangers » de Kiev portait le combat en laminant des formations nazies et autres équipes militaires allemandes. Ces anciens joueurs du Dynamo et du Lokomotiv Kiev, mobilisés sur le front puis capturés par les armées du Reich, étaient libérés. Ils erraient, affamés, dormant sous des ponts. Un boulanger, supporter du Dynamo, les avait recrutés dans sa boulangerie où la Gestapo procédera à leur arrestation. Certains torturés, d’aucuns envoyés dans des camps de concentration, d’autres exécutés.

Dans l’Espagne des années 1950, sous la dictature de Franco, le FC Barcelone symbolisait le combat antifranquiste, « l’outil de résistance sociopolitique (…). Au cours d’un match opposant le Barça au Racing de Santander, des tracts appelant au boycott massif des transports en commun sont distribués (…). À la sortie du match, les supporters catalans refusent collectivement d’emprunter les tramways, chacun préférant rentrer chez lui à pied en signe de solidarité avec les grévistes ». Avec la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, des footballeurs algériens évoluant en France versaient 15 % de leur salaire au Fln (Front de libération nationale). À la veille de la Coupe du monde de 1958, certains désertaient leur club et même l’armée française pour constituer l’équipe nationale du Fln. Lors des printemps arabes de 2011, des supporters de l’Espérance de Tunis, du Zamalek et de Ahlawy, en Égypte, étaient des avant-gardes des révolutions. Au demeurant, rendons hommage au journaliste Robert Guérin mort en 1952. Il était l’initiateur de la Fifa et en devenait le 1er président alors qu’il n’avait que 27 ans.

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