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LE SPECTRE DU SURENDETTEMENT

Le président de la République a pris une série de 11 mesures urgentes pour soulager les populations. Des mesures qui, toutefois, ont un coût financier pour le budget de l’Etat. La matérialisation de ces mesures oblige l’Etat à s’endetter pour faire face aux exigences de la baisse des prix.

Cependant des économistes craignent que ces mesures ne puissent pas durer longtemps puisque l’Etat n’a pas assez d’argent pour supporter autant de subventions. L’un de nos interlocuteurs a relevé l’absence de production locale face à des solutions à long terme. Les moins convaincus évoquent l’exigence d’une production locale qui pourra permettre de disposer d’une consommation inclusive sur le long terme.

D’après eux, les entreprises ne peuvent pas allier une inflation sur les matières premières et les entrants à une augmentation des salaires. Donc, il faut jouer avec beaucoup d’intelligence pour ne pas gêner certains secteurs d’activités du tissu économique à préserver. Suite à ces constats, ils recommandent de façon conjoncturelle des solutions politiques à très court terme et non un choix de politique structurelle qui devrait engager tous ces secteurs cités dans une dynamique salutaire.

Dans ce registre, ils relèvent qu’une gymnastique économique doit être faite avec beaucoup d’intelligence pour allier moyens propres et endettement dans un financement avec une rentabilité conséquente. Evoquant la réticence des commerçants et des bailleurs à appliquer les mesures prises, ils préconisent une surveillance du marché pour impliquer tous les acteurs dans l’intérêt général du pays.

L’applicabilité de cette mesure, insiste-t-on, va dépendre des moyens déployés par l’Etat. Concernant le loyer, le problème majeur que rencontrent les locataires est que la plupart des propriétaires travaillent dans l’informel. Pour l’applicabilité de cette mesure de baisse du coût du loyer, l’Etat doit réguler ce secteur considéré comme étant privé. Et, pour une bonne application de ces mesures, le budget devrait suivre la dynamique de hausse constatée ces dernières années. Les économistes restent d’avis que même si le pays est déjà surendetté, il est possible de s’attendre à un déficit public plus important.

MEÏSSA BABOU, ECONOMISTE : « L’Etat n’a pas l’argent nécessaire pour supporter autant de subventions »

L’économiste Meïssa Babou porte une appréciation sur l’impact de la baisse des prix des denrées alimentaires et du loyer sur l’économie du pays. Il s’agit de 11 mesures urgentes prises parle Chef de l’Etat, Macky Sall, pour alléger les difficultés des populations. Une baisse des prix qui nécessite des concessions et des subventions énormes pour soutenir les impacts financiers à long terme. Avec une inflation exponentielle tous azimuts, l’économiste précise qu’il est normal qu’un pays essaie de venir en aide à ses populations. Mais, il craint que ces mesures ne puissent pas durer longtemps. Et avec le taux d’inflation alimentaire, estimé à 18%, l’économiste est d’avis qu’il serait difficile d’espérer sur le long terme un impact social de ces mesures.

Meïssa Babou juge que la baisse annoncée des prix de denrées alimentaires et du loyer pourrait être compliquée pour l’Etat. Des baisses de 25 francs pour des unités qui dépassent tous 300, relève-t-il, semblent dérisoires. A son avis, il fallait se concentrer sur quelques produits, au lieu de vouloir baisser beaucoup de produits avec des propositions assez dérisoires. D’après l’économiste, l’initiative est bonne car pouvant avoir un impact sur le consommateur mais elle exige un suivi rigoureux avec des procédures judiciaires s’il le faut contre les récalcitrants.

Nous sommes en approche d’une année électorale. Les politiciens sont capables de tout pour avoir le dernier mot. Mais ça ne peut pas prospérer. Non seulement, c’est dérisoire, ces baisses, mais, dans la durée, ça va coûter beaucoup d’argent. C’est ce que la Banque mondiale a dit en essayant de freiner le Sénégal pour éviter des interventions qui dépassent plus de 700 milliards de francs. Pour le moment, nous sommes dans une urgence. On peut accepter que ces efforts soient faits. Mais, il nous faut une stratégie pour combler tous ces gaps qui sont à la base des problèmes », estime l’économiste.

Il relève l’absence de production locale pouvant permettre, dans un horizon de 3 à 5 ans d’avoir une consommation inclusive. « C’est vrai que, dans l’urgence, nous pouvons accepter qu’il y ait une assistance. Mais normalement, on devrait définir une solution de sortie définitive de crise », préconise-t-il.

Espoir de changements avec une inflation de 18 %

M. Meïssa Babou est d’avis qu’avec le taux d’inflation alimentaire estimé à 18 %, il serait difficile d’espérer un changement. De ce fait, relève-t-il, vouloir, coûte que coûte, une baisse drastique de prix, semble possible dans le court terme. « Nous nous adaptons et je dois saluer les augmentations de salaires qui restent une aubaine à côté des subventions. Mais, combien de Sénégalais sont des fonctionnaires ? C’est là où le bât blesse. Les entreprises ne peuvent pas allier une inflation des matières et des entrants à une augmentation de salaires. Ça serait la catastrophe dans les coûts de production. Donc, il faut jouer avec beaucoup d’intelligence pour ne pas gêner certains secteurs d’activités du tissu économique qui est à préserver », recommande-t-il.

Revenant sur les répercussions de ces mesures de baisses sur le budget 2023 en cours d’adoption par l’Assemblée nationale, Meïssa Babou soutient que les choix ont été faits. Il relève que le ministère du Commerce a vu son budget augmenté de plus de 100 milliards. Celui du ministère de la Jeunesse, comprenant l’emploi, a été multiplié par trois. A côté, le budget de sécurité dépasse pratiquement les subventions alimentaires avec 380 milliards de francs. « Le regret est de ne pas voir dans ce budget un engagement conséquent dans les secteurs productifs comme l’agriculture, la pêche, la production scolaire, sanitaire. Il n’y pas suffisamment d’engagement au niveau du budget où on voit que ces secteurs sont laissés en rade. Alors que la perspective devrait démarrer avec ce budget 2023 en mettant plus d’argent dans ces secteurs-là pour démarrer une autoproduction. Quand vous importez un million de tonnes de riz, alors qu’on ne voit pas ces solutions financières dans le budget, il faut s’interroger », prévient-il.

Surendettement et taux d’inflation de 11 % en phase de croissance

Abordant l’approche globale de la situation économique du pays par rapport à ce surendettement et aux taux d’inflation de 11% en phase de croissance, l’économiste est sceptique dans le choix de financement du gouvernement. « Vu l’engagement que le gouvernement a pris dans les subventions, même si c’est dérisoire sur le plan alimentaire avec un engagement plus conséquent dans l’énergie, on est en droit de nous poser la question sur le financement de ce programme. Or, tout le Sénégal est un pays fiscal, alors il faut se demander comment ce programme se fera en baissant les textes et les impôts ? Si ces derniers sont en baisse, la solution sera forcément l’endettement. Alors que nous sommes déjà très endettés. La FMI a eu raison de freiner le Sénégal en disant que vous n’avez pas les moyens de ces subventions. Et, trop c’est trop. Ceci va creuser l’endettement avec ce nouveau budget qui est à peu près à 2 300 milliards de déficit qui sera comblé par un endettement. Ce qui portera le déficit budgétaire à plus de 5% », a relevé l’économiste.

D’après lui, les agrégats seront les dérapages. Et la dette normative doit être à 66%, alors que le Sénégal est à 73%. Le déficit budgétaire de 3 % va dépasser les 5 %. « Si ça continue, nous risquerions d’être dans un ajustement économique. Par conséquent, c’est une gymnastique économique que nous devrions faire avec beaucoup d’intelligence pour allier moyens propres et endettement dans un financement avec une rentabilité conséquente. Ce qui ne me semble pas être le cas », regrette Meïssa Babou. Il n’a pas manqué d’évoquer les réticences des commerçants et des bailleurs, nécessitant une surveillance du marché pour impliquer tous les acteurs dans l’intérêt général du pays. Il exhorte ainsi à l’inclusion de tous les secteurs et de tous les acteurs économiques du pays.

PR THIERNO THIOUNE, MAÎTRE DE CONFÉRENCES TITULAIRE : « Cette baisse des prix des denrées alimentaires pourrait augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs »

Professeur Thierno Thioune, maître de conférences titulaire analyse l’impact de la baisse des denrées alimentaires et du loyer sur l’économie du pays. Axant son analyse sur deux angles, il précise que du côté des consommateurs (ménages), des vendeurs et des bailleurs, cette baisse des denrées alimentaires augmente le pouvoir d’achat des consommateurs. Les populations pourront, avec le même niveau de revenus, consommer plus de biens. Mais, l’application immédiate de cette nouvelle mesure, prise dans le but de soulager les ménages, pourrait conduire à des pertes si toutefois la production ou l’achat de ces denrées nécessite de supporter des coûts élevés.

Thierno Thioune, maître de conférences titulaire, par ailleurs, directeur du centre de recherches économiques appliquées (CREA) de la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop considère que cette mesure de baisse devrait être structurelle et non conjoncturelle. L’applicabilité de cette mesure, insiste-t-il, va dépendre des moyens déployés par l’Etat. Concernant le loyer, il souligne le fait que le problème majeur que rencontrent les locataires est que la plupart des propriétaires travaillent dans l’informel. Et pour l’applicabilité de cette mesure, l’Etat doit réguler ce secteur considéré comme étant privé. « Si nous prenons acte des propos du Président qui considère que le prix du loyer a augmenté de 200% depuis la tentative de baisse en 2014, alors que les coûts de construction n’ont évolué que de l’ordre de 45%, on peut s’attendre à une possible réduction du prix des loyers dans le même ordre que l’augmentation des coûts de construction », confirme Pr Thioune.

L’économiste indique que ces mesures n’opèrent pas un changement structurel dans l’économie. L’inflation étant importée, les dépenses publiques devraient être orientées de plus en plus dans le soutien de ces mesures. Et celles-ci prendraient en compte les subventions et les mesures fiscales.

D’après le professeur d’économie, pour une bonne application de ces mesures, le budget devrait suivre la dynamique de hausse constatée depuis ces dernières années. Il déduit qu’on peut alors s’attendre à un déficit public plus important. Même si le pays est déjà surendetté. Heureusement, positive-t-il, l’effet boule de neige entre les charges et la dette publique pourrait être atténuée par les recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz prévue en 2023.

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