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LES ENJEUX POLITIQUES D’UNE AFFAIRE JUDICIAIRE

Au-delà de la bataille judiciaire qui s’annonce épique, les enjeux politiques sont énormes. Alors que le pire cauchemar pour le camp du président Sall est de voir le leader du Pastef/Les patriotes, Ousmane Sonko, les succéder au pouvoir, les partisans de ce dernier, eux, se croient déjà futur locataire du palais. Une chose est sûre : l’affaire Adji Sarr risque d’être déterminante pour la suite de la carrière de l’opposant radical. Pour Ousmane Sonko, la seule issue possible, c’est la victoire. Il ne cesse de dire et répéter : ‘’De ce dossier, il ne peut rien sortir qui puisse entraver notre marche politique, qui puisse compromettre le projet que nous portons et que nous partageons avec tous les Sénégalais. Avec ce dossier, ils ne pourront jamais, ni m’emprisonner ni m’empêcher d’être candidat en 2024…’’ 

Mais dans quel cas le leader politique perdrait son éligibilité ? Interpellé, le directeur exécutif de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé, rappelle l’article 29 de la loi électorale qui traite des conditions d’inscription sur les listes électorales. ‘’Selon cette disposition, souligne-t-il, ne doivent pas s’inscrire sur les listes électorales : ceux qui sont condamnés pour crime (c’est le cas du viol) ; ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, corruption… Il y a d’autres infractions qui sont visées. En général, toute personne condamnée pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq ans’’.

Harmonisation Code électoral et Code pénal et Code de procédure pénal

Pour le membre de la société civile, c’est un texte très exclusif qui mérite d’être revu et d’être harmonisé avec les dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénal. ‘’Ces deux textes prévoient que la déchéance est une peine complémentaire qui doit être prononcée par le juge. Or, le Code électoral exclut de manière absolue, dès lors que quelqu’un a été condamné, même avec un sursis d’une durée supérieure à un mois pour un délit passible d’une peine de 5 ans. C’est ça le problème et la société civile a toujours milité pour que le texte s’aligne sur l’esprit des lois pénales. Nous ne désespérons pas de voir des réformes dans ce sens’’, plaide M. Cissé.

Aussi, même si le chef de viol semble s’éloigner de plus en plus, certains craignent une requalification consistant à poursuivre Ousmane Sonko non plus pour viol, mais pour une autre infraction. Et à entendre le dernier discours d’Ousmane Sonko, une telle hypothèse n’est pas à écarter. Il affirmait : ‘’Ils savent qu’ils ne peuvent rien obtenir de ce dossier et c’est pourquoi ils sont en train de mettre en place des stratégies pour voir d’autres moyens de nous écarter (de la course à la Présidentielle). Ils l’avaient essayé au mois de mars en nous accusant notamment d’appel à l’insurrection, d’atteinte à la sureté de l’État, de trouble à l’ordre public… Ils sont dans ces genres de stratagèmes… C’est pourquoi je dis que nous ne devons pas tomber dans leur piège. Pour les 16 mois qui restent, il faudra se battre avec intelligence, avec tactique. Nous ne devons pas tomber dans leur piège.’’

Pour sa part, le directeur exécutif de 3D salue le discours qui a été tenu par le leader des patriotes. À l’en croire, c’est une posture républicaine qui contribue à la sérénité et à l’apaisement du climat politique. ‘’Nous saluons vraiment cette déclaration responsable, cet appel au calme. Il a fait preuve de maturité et de responsabilité. Nous demandons aux juges de faire eux aussi preuve d’impartialité et de ne dire rien que le droit, sans aucune pression. C’est dans l’intérêt d’Ousmane Sonko et du Sénégal’’, soutient le membre du Collectif des organisations de la société civile pour les élections.

À l’issue de son face-à-face avec le doyen des juges d’instruction Omar Maham Diallo, Ousmane Sonko saura s’il va être renvoyé devant la chambre criminelle ou s’en tirer avec un non-lieu pur et simple.

De la décision qui va être prise dépendra en partie sa participation à la Présidentielle de 2024. Ce sera soit le palais, soit loin de ce haut lieu de jouissance et de pouvoir.

Utilisation de la justice pour écarter un adversaire politique

Par ailleurs, au-delà de l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko, le directeur exécutif de l’ONG 3D estime qu’il faudra tirer les conséquences assez inédites dans l’espace politique sénégalais. ‘’Nous avons l’habitude, depuis le président Senghor, de voir les régimes successifs avoir des différends avec leurs principaux opposants. Les différents présidents ont tous été accusés, à tort ou à raison, d’instrumentaliser la justice pour écarter des adversaires politiques. Mais c’est la première fois qu’on voit un personnage politique de premier rang avoir des déboires judiciaires de cette envergure pour des affaires de mœurs…’’

Raison pour laquelle, renchérit M. Cissé, ‘’il faut en tirer des leçons pour qu’à l’avenir, s’il y a des affaires de cette nature, qu’on puisse le gérer de manière plus sereine et transparente. Je pense que pour ce faire, la police scientifique peut y jouer un rôle très important, si on lui donne les moyens adéquats’’.

Il convient de rappeler que les affaires de mœurs ont souvent été gérées avec pudeur et omerta dans le continent africain. À la limite, les populations trouvent ‘’normales’’ les relations extraconjugales des personnalités publiques. Tant que ce n’est pas un viol avéré, ces affaires sont presque sans conséquence pour les personnalités politiques de premier plan.

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