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NON À LA PROMOTION DE LA CULTURE DU VIOL DANS LE CINÉMA AFRICAIN

Quoique nous soyons toutes favorables au développement d’initiatives visant à promouvoir le travail des femmes dans tous les secteurs de la vie économique et sociale, il n’est pas question de cautionner des travaux qui portent atteinte directement aux lois que nous avons adoptées, dans nos pays respectifs, pour protéger les femmes et les filles des violences sexistes et sexuelles. Cela d’autant plus lorsque ces mises en images attentent à la dignité humaine en faisant porter aux victimes de crime de viol la charge de la faute.

À ce jour, le monde dénombre 205 230 viols déclarés, pour la seule année 2022. Selon ONU femme, une femme sur trois est victime de violences physiques et/ou sexuelles dans le monde tous les jours. Ce phénomène criminel n’est donc pas un enjeu mineur que l’on peut se permettre de traiter avec légèreté ou par des personnes n’en ayant manifestement aucune connaissance. C’est pourquoi nous dénonçons avec la dernière énergie les organisateurs du salon du cinéma au feminin qui laissent concourir un court métrage qui propage de fausses informations sur le viol et nourrit la culture du viol au Togo.

Nous avons été stupéfaites de constater ce jour, la mise en circulation dans les réseaux sociaux, du trailer d’un film dont le titre est Mea culpa. Il s’agit de la bande annonce d’un film dans lequel une jeune fille victime de viol fait son mea culpa auprès de ses parents pour avoir été violée du fait de ses agissements sur les réseaux sociaux, jugés non conforme à l’attendu social. Il est explicitement fait mention d’un lien de causalité entre sa présence sur les réseaux sociaux et son travail d’influence et le viol qu’elle a subi de deux hommes, de nuit, en extérieur.

Au Togo, l’article 211 et suivants disposent que : Le viol consiste à imposer par fraude, menace, contrainte ou violence des relations ou pénétrations sexuelles à autrui. (Art 212) : Toute personne auteur de viol est punie d’une peine de réclusion criminelle de cinq (05) à dix (10) ans et d’une amende de deux millions (2 000 000) à dix millions (10 000 000) de francs CFA. S’agissant de la relation sexuelle imposée par la violence, la contrainte ou la menace par un conjoint à un autre, elle est punie d’une amende de deux cent mille (200 000) à un million (1 000 000) de francs CFA ou de sept cent vingt (720) heures de travail d’intérêt général. En cas de récidive, la peine est de dix (10) à douze (12) mois d’emprisonnement et d’une amende d’un million (1 000 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA. (Art 213) : Les peines prévues à l’article précédent sont la peine de réclusion criminelle de dix (10) à vingt (20) ans et une amende de cinq millions (5 000 000) à vingt millions (20 000 000) de francs CFA si : 1) les relations sexuelles ont été imposées par plusieurs auteurs à une même victime ; 2) le viol a occasionné une grossesse ; 3) les violences exercées ont occasionné une maladie ou une incapacité de travail excédant six (06) semaines ; 4) le viol est commis par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants. 5) par une personne qui a abusé de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. (Art 214) : La peine prévue à l’article précédent est également appliquée lorsque le viol a été commis : 1) sous la menace d’une arme ; 2) par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la victime ou les ascendants directs de ceux-ci ; 3) par une personne ayant autorité sur la victime ; 4) par une personne qui a abusé de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. (Art 215) : Lorsque le viol est commis sur une personne particulièrement vulnérable, en raison notamment de sa minorité, son âge avancé, un état de grossesse, une maladie, une infirmité ou une déficience physique ou psychique, l’auteur est puni d’une peine de vingt (20) à trente (30) ans de réclusion criminelle. (Art 216) : Toute personne coupable de viol est punie du maximum de la réclusion criminelle à temps lorsque le viol est précédé, accompagné ou suivi d’actes de torture ou de barbarie ou a entraîné la mort de la victime.

La loi ne retient que la fraude, la menace, la contrainte ou la violence exercées sur la victime qui ne sont pas corrélatives à un comportement ou à un autre de celle-ci mais aux torts exclusifs de l’auteur. Elle sous-entend de plus le non-consentement de la victime peu importe le ou les comportements précédents qui ne valent pas consentement à être agressée quels que soient les liens qui unissent les deux personnes. Enfin, la loi considère que cette infraction a des conséquences sur la santé de la victime et des conséquences psychosociales avec la survenue d’une grossesse au décours de ce crime. Dès lors supposer que la victime aurait d’une manière ou d’une autre demandé à se faire agresser sexuellement ne repose sur aucun fondement juridique. Supposer que la victime par son comportement a incité l’auteur de viol à commettre sur sa personne un acte d’une telle gravité ne repose pas plus sur un fondement légal. Supposer que la victime devrait se sentir coupable d’une agression qu’elle a subi est donc d’une inanité sans borne.

Outre les effets susmentionnés concernant la santé physique d’une victime de viol, il n’est pas fait mention que ce crime enlève vingt (20) années d’espérance de vie à une victime. De plus les effets psychiques à long terme ne sont pas plus connus par la loi togolaise. Or le viol induit chez 80% des victimes des troubles psychiques graves pouvant aller d’un état de sidération mentale à l’éclosion de maladies mentales du registre psychotique, qui sont les maladies mentales chroniques les plus difficiles à traiter. Au surplus, le viol modifie les perceptions de soi et de l’environnement des victimes et conduit ces dernières à adopter des comportements allant de l’évitement et du repli social aux conduites à risque suicidaire voir au suicide.

Pour les personnes ayant vécu ce traumatisme grave, les suites psychosociales sont tout aussi graves car, dans nos sociétés ultra violentes avec les femmes, il est parfaitement connu et documenté que les victimes de viol sont discriminées, pointées du doigt et exclues du groupe social. Cela sous le prétexte qu’il leur revient de s’assurer que rien de fâcheux ne leur arrive. Comme si elles pouvaient être tenues responsables des actes posés par des agresseurs. Cet état de fait pèse comme un poids permanent sur la santé mentale de toutes les femmes togolaises et sa stabilité mais encore davantage s’agissant des victimes.

En conséquence, il est bien évident que lorsque des victimes de viol sont exposées à un environnement ultra violent à leur égard, véhiculant des représentations fausses, dégradantes et humiliantes à leur endroit, il existe des processus sociaux de re-victimisation qui obèrent leurs possibilités de sortie du trauma. En effet, cela met à feu la totalité des troubles dont elles souffrent voire fixe les traumatismes de manière quasi irréversible. Ces représentations erronées équivalent à une réédition de leur propre traumatisme pour certaines et/ou à des traumatismes cumulatifs pour d’autres. La prise en charge psychologique et psychiatrique s’en trouve particulièrement mise à mal. Nous sommes donc toutes et tous responsables par nos paroles, nos actes, nos pensées, nos représentations de l’aggravation ou non de leur état. Au surplus, on ne peut valablement pas leur demander de se sentir coupables d’un crime qu’elles ont subi ni dans la réalité ni même dans une fiction quel que soit l’angle que le cinéaste ait voulu adopter pour évoquer ce sujet. Ainsi il n’est pas pensable de laisser développer des supports cinématographiques qui ruinent les efforts de ces femmes pour se remettre de leurs traumatismes, pas plus que de ruiner les efforts consentis par le gouvernement et toutes les organisations des droits humains concernant cette question.

En derniere analyse, nos sociétés sont héritières de traumatismes graves dont l’exacerbation de la violence à l’égard des personnes vulnérabilisées est symptomatique. Il nous appartient de faire un travail urgent sur nous-mêmes et de freiner tout comportement visant à porter atteinte à notre dignité humaine et particulièrement à l’intégrité de nos corps. Pour ce qui concerne le viol des femmes, il est implicitement et explicitement autorisé par la permissivité de nos sociétés aux traitements dégradants à l’égard des femmes. Il est autorisé par l’idée de la domination d’un genre humain sur un autre genre humain lui octroyant des privilèges de droits divins. Il est autorisé par le rapport de force existant entre les hommes et les femmes glorifié et valorisé dans des productions culturelles (tel que le cinéma) ou des traditions qui tardent à disparaitre. Il est autorisé par l’idée généralement admise que le corps des femmes est à la libre disposition des hommes mais qu’elles sont responsables de ce qui leur arrive. Il est encore autorisé par l’idée répandue d’une pulsionnalité masculine conquérante, violente et sans limite au risque de l’homosexualité. Il est autorisé par l’idée qu’une jeune fille/femme par sa vêture, ses fréquentations, son travail ou tout autre velléité d’indépendance est responsable du viol qu’elle subit. Il est autorisé par l’indifférence réservé aux crimes et délits commis contre des femmes et des filles. Il est autorisé par le sensationnalisme des médias qui exposent les victimes plus que les auteurs. Il est autorisé par la clémence réservée à ces actes quand ils arrivent devant nos juridictions. Il est enfin autorisé parce que la sociologie, depuis les années 70, ne cesse de rappeler derrière le concept de culture du viol.

Si nous ne voulons pas assumer que nos sociétés promeuvent le viol, il nous faut travailler tous ensemble à éradiquer tout comportement, toute idée, toute croyance, toute norme sociale qui encourage implicitement ou explicitement le viol. C’est pour toutes ces raisons que nous demandons solennellement, nous toutes féministes africaines, le retrait du film Mea culpa du concourt du court-métrage de l’édition togolaise du salon du cinéma au féminin.

Ont signé :

Pour le Togo

  • Floriane Acouetey- Spécialiste genre, militante féministe
  • Rosaline Tsekpuia- Analyste Projet, militante féministe
  • Elsa M’béna Ba – Conseillère technique, militante féministe
  • Kpodo Akoua Akofa Fidèle : Juriste, militante féministe.
  • Rachimini Malam Moumouni : Coordinatrice projet, Ecoféministe
  • Akakpo Mensah David, Étudiant, militante féministe
  • Miawodede Afi Éméline – Entrepreneur, militante féministe
  • Sekou Lidao H. Grâce – Juriste, militante féministe
  • Gannyi Adoukoè Hortense, Etudiante militante féministe
  • Fare Marthe, Écrivaine, Militante Féministe
  • Juliette Essohanam Bodjona, Etudiante, militante féministe
  • Agbodjan-Prince Y. L. A. Josephine, Étudiante, militante Féministe
  • Charité Simnon Akouta, coordinatrice de projet, militante féministe
  • Marthe Essilivi, étudiante, militante féministe
  • Reyhanath Touré Mamadou, Coordinatrice de projet, militante féministe
  • Adzessi Martin, agent de développement local, référent genre, féministe
  • Agboka Afi Mawulom, Féministe / gestionnaire de projet
  • Astu Eklu, Spécialiste genre, militant féministe

Pour le Bénin

  • Carine Danhouan – directrice francophone programme Girl Talk, féministe

Pour le Sénégal

  • Pr Fatou Sow, sociologue, féministe
  • Pr Aida Sylla, psychiatre – psychothérapeute, féministe
  • Awa Fall Diop, ancienne Ministre, féministe
  • Fatim Faye, activiste féministe
  • Dr Absa Gassama, enseignante chercheuse en sociologie, féministe
  • Coumba Touré, auteure conteuse, féministe
  • Zoubida Fall, auteure, féministe
  • Aminata Libain Mbengue, psychologue clinicienne, féministe radicale
  • Eva Rassoul Ngo Bakenekhe, journaliste, féministe
  • Dr Ndeye Khady Babou, médecin, féministe
  • Khaita Sylla, féministe
  • Dr Aisha Conté, pharmacienne, féministe
  • Myriam Thiam, designer bijoux et chanteuse, féministe
  • Aida Niang, féministe
  • Rama Thiam, féministe
  • Amina Seck, romancière – scénariste, féministe
  • Mame Woury Thioubou, journaliste – réalisatrice
  • Nina penda Faye, journaliste – reporter, activiste féministe
  • Fatima Diallo Ba, auteure, féministe
  • Ndeye Khaïra Thiam, psychologue clinicienne et criminologue, féministe radicale
  • Blaise Mané, Directeur de société
  • Amina Diagne, Formatrice en entreprenariat – coach d’affaire
  • Dr Georges Valentin Amara, médecin
  • Yaya Konaté, gestionnaire financier
  • Jean Pierre Iba Mar Moise Logisticien
  • Fadigba Amen-Amour, Consultant expert financier
  • Chiara Barison, PhD en sociologie, féministe
  • Eugenia Maya, économiste, féministe
  • Leila Chaine, Cheffe d’entreprise, féministe

Pour la Guinée

  • Bynta F. Bah, militante féministe radicale universaliste
  • Fatoumata Kouyaté autrice – peintre, fondatrice des Lettres vagabondes Fatou Mata, féministe
  • Mariam Tendou Kamara, administratrice, GRIF-groupe de réflexion et d’influence des femmes
  • Djenabou Diallo Sylla, Président ONG « mon enfant ma vie »
  • Kadiatou Konaté présidente du club des jeunes filles leaders de Guinée
  • Kadidiatou BAH, militante des droits humains, féministe
  • Souadou Bah, féministe
  • Houleymatou Bah, Avocate au Barreau de Guinée et membre de la clinique juridique de l’OGDH
  • Mabinty Soumah, Présidente de WILPF/ Guinée (Ligue Internationale des Femmes pour la Paix & Liberté) & Membre du GRIF
  • Condé Yolande Camara, spécialiste HSECQ, GRIF-groupe de réflexion et d’influence des femmes
  • Fatima Noëlle Curtis, activiste
  • Nanette Touré entrepreneure, féministe

Pour le Niger

  • Souwaiba Ibrahim, Juriste, présidente de la ligue nigérienne des droits des femmes, féministe

Pour le Burkina Faso                                                                              

  • Bénédicte Bailou, Juriste spécialisée en droits des femmes – VBG – Directrice exécutive mouvement citoyen FEMIN-IN, activiste féministe

Pour la Côte d’Ivoire

  • Sylvia Apata, Juriste-Expert en droits humains, spécialiste en droit des femmes, féministe
  • Koné Balla, Publicitaire

Pour la Cameroun

  • Minou Chrys-tayl, formatrice, consultante en violences sexuelles et sexistes, présentatrice TV et créatrice de contenu, féministe

Pour le Canada

  • Aissatou Ly, directrice gestion relationnelle
  • Adama Sank Diallo, activiste
  • Zenab Nabé, MSc, CPA, Comptable professionnelle agrée

Pour la France

  • Sokhna Maguette Sidibé, féministe
  • Naya Nakeba Yamina Goudiaby, étudiante en droit, féministe radicale
  • Elgas, journaliste et écrivain
  • Jean Noël Mabiala, PhD en sciences du langage – Président fondateur du centre de recherche et de formation FC-ONLY, spécialiste des questions d’interculturalité et du rapport à l’autre

Pour les Pays-Bas

  • Loes Oudenhujisen, doctorante en études africaines, Féministe

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