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APPRENTISSAGE DU CORAN À TOUBA, LE LEGS DE BAMBA RÉSISTE AU TEMPS

Le temps de la consécration ! Depuis quelques années, les apprenants sortis des écoles coraniques de Touba s’illustrent de fort belle manière dans les concours nationaux et internationaux de récitation du Coran. Au-delà d’un modèle bien huilé, la cité religieuse semble récolter les fruits de l’attachement de son fondateur au livre saint.

Barbe soigneusement peignée, voix basse, marche lente au milieu de centaines d’apprenants, Serigne Amdy Moustapha Diop a ouvert l’école coranique Daroul Habi. Elle compte 330 pensionnaires. M. Diop ne vit que par le Coran. Ses enfants et ses épouses consacrent leur temps à l’apprentissage et à l’enseignement des saintes Écritures. Mais, pour lui, c’est le même modèle qui est répercuté partout à Touba : « C’est une histoire d’amour entre le fondateur du mouridisme et le Coran qui se perpétue ». On y répertorie 1500 daaras pour un total de près 157.000 apprenants. Si l’on en croit le représentant de la Ligue des écoles coraniques du Sénégal, section Touba, Khaly Diakhaté.

Malgré une urbanisation galopante, une modernisation à plusieurs niveaux, Touba est restée très attachée au Livre saint. Mais pour Serigne Ahmadou Bamba Al-Khadim Mountakha Mbacké, c’est le fruit de l’amour particulier que Cheikh Ahmadou Bamba accordait au livre saint. « Il s’est beaucoup sacrifié quand il devait apprendre le Coran. À l’époque, il lui arrivait d’écrire des exemplaires pour les revendre et acheter d’autres ouvrages. C’était sa vie, son passe-temps… C’était sa plus grande richesse. Il n’avait d’yeux que pour le Coran. À Touba, l’accent a toujours été mis sur le Coran avant l’insertion professionnelle. C’est ce qui explique le succès. Malgré les nombreuses évolutions, l’enseignement est resté traditionnel », soutient-il, fier de ce lien de ferveur.

1500 daaras

Au Sénégal, en Afrique ou dans le monde, plusieurs distinctions sont revenues à des apprenants venant de Touba. Pour Serigne Khalil Mbacké, petit-fils de Serigne Saliou Mbacké, il y a une part de baraka. Selon lui, il arrive très souvent que les maîtres coraniques rencontrent des apprenants qui sont dotés d’une capacité de mémorisation hors norme. Les récompenses ne se comptent plus. Les représentants de Touba raflent tout. Lors de l’édition 2022 du concours Senico, du premier au quatrième, le neuvième et le dixième sont tous issus de Touba. En Côte d’Ivoire, Abo Niasse est sorti premier, à Dubaï, le représentant de Touba est sorti deuxième sur 63 pays, d’après Serigne Khaly Diakhaté. D’après le représentant de la Ligue des maîtres coraniques de la section Touba, c’est une tradition dans la ville sainte, même s’il reconnaît une plus grande médiatisation des concours ces dernières années.

« C’est comme la mousse, elle ne vient jamais seule. La mission du Prophète, par exemple, s’est terminée après la descente du Coran. Mais avant son rappel à Dieu, il a tenu à rappeler l’importance du Coran et la nécessité de dupliquer le modèle partout à travers des écoles coraniques. C’est devenu une tradition dans notre religion », soutient-il.

D’après lui, en serviteur proclamé du Prophète, Serigne Touba a fait de ce legs le sien. Il en a fait l’essence de son existence. « Au-delà des recommandations obligatoires, toute sa vie tournait autour du Coran. C’était sa vie. Il a dit que son rapport avec le Coran, c’est comme le non-voyant et son guide. Il a non seulement appris, mais il l’a enseigné. Il avait des personnes qui ne s’occupaient que de l’écriture, d’autres que de la lecture, avec des exigences très fortes. Pendant plus de 50 ans, il a vécu ainsi. Tout était Coran. Lui-même le disait, le Coran était devenu mélangé à tout ce que je faisais. C’est devenu presque une affaire de sang », a-t-il révélé.

Selon Khaly Diakhaté, Serigne Modou Diop Dagana, un des plus grands narrateurs de la vie de Serigne Touba, a raconté une anecdote qui en dit long sur cet amour entre le Cheikh et le Livre saint. Un jour, dit-il, un Maure, doté d’une grande habileté dans l’écriture du Coran, informé des montants que Serigne Touba était prêt à mettre pour un livre bien écrit, a tout simplement décidé d’en faire son gagne-pain. « Il écrivait et vendait à Serigne Touba au prix fort. Il était un amoureux inconditionnel du Coran. Tous ceux qu’il a formés ont ouvert des écoles coraniques partout pour promouvoir l’apprentissage des saintes Écritures », souligne-t-il. Le lancement, cette année, du Grand prix international Cheikh Ahmadou Bamba pour le Saint Coran, qui réunit diverses nationalités, illustre parfaitement cet amour pour le Livre saint dans la cité religieuse.

La « parole » aux sourds-muets

Dans un modeste daara situé à Jannatul Mahwa (Touba), des sourds-muets sont initiés à l’apprentissage du Coran. Le précurseur est Serigne Amdy Moustapha Diop dont le fils souffre de ce handicap.

Au troisième étage d’un bâtiment quelconque dans le quartier Jannatul, le calme est plat. L’endroit semble inoccupé tant le silence est profond. Chose rare dans une école coranique. Ici, les apprenants sont assez particuliers. Ils sont des sourds-muets. Un handicap qui ne les empêche guère d’exceller dans l’apprentissage du Livre saint. Ils forment de petits cercles autour de leur maître. Ce matin, ils font trois groupes. Un pour les filles, un pour les débutants, un autre pour les plus anciens. Ce dernier groupe est sans doute le plus impressionnant. Même l’enseignant est sourd-muet. Alors, comment initier des sourds-muets à l’apprentissage du Coran ? Comment savoir s’ils ont maîtrisé les choses ou pas ?

C’est le précurseur lui-même qui explique la méthode. « Au début, on les aide à identifier les lettres, ensuite les syllabes. Puis, on leur fait écrire sur un grand plat couvert de sable. Ils te montrent qu’ils ont maîtrisé quand ils réussissent à écrire correctement, en respectant l’accentuation », explique Serigne Amdy Moustapha Diop. Depuis un certain temps, les ardoises numériques sont en train de suppléer les plats remplis de sable. Elles permettent un apprentissage plus rapide.

Mourtalla, le déclic

Marié à un proche parent, Serigne Amdy Moustapha Diop savoure la naissance de son premier fils. Le jeune Mourtalla grandit. Mais au moment d’apprendre à prononcer ses premiers mots, son père se rend compte que son fils est un sourd-muet. « On m’a dit que c’est la conséquence de la consanguinité. Sa mère est un parent très proche », explique le pater. Fervent croyant, il accepte la Volonté divine. Mais pour lui, il était hors de question de ne pas initier son fils à l’apprentissage du Coran, même s’il ignore encore par quel moyen : « Je savais qu’il fallait qu’il apprenne ».

Il décide alors d’expérimenter la méthode du plat avec du sable. Le résultat l’impressionne, selon ses propres mots. « C’est grâce à cette méthode qu’il a écrit trois exemplaires du Coran à main levée », révèle-t-il. La méthode commence à faire le tour de la ville sainte. Ses collègues maîtres coraniques le supplient d’amener son fils à un célèbre concours de récital. « Au début, j’étais réticent, mais j’ai par la suite compris que c’était une bonne idée. Les gens ont compris qu’il était possible d’initier un sourd-muet à l’apprentissage du Coran, comme cela se fait avec l’enseignement moderne. Je me suis rendu compte que personne ne connaissait l’existence de cette méthode », confie-t-il.

Aujourd’hui, Mourtalla est en train de perpétuer le modèle de fort belle manière, beaucoup mieux que son père. Selon ce dernier, la transmission est beaucoup plus simple entre sourds-muets. Il encadre dans l’école coranique de son père beaucoup de jeunes sourds-muets.

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