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COMMENT L’ÉTAT TUE LES CIMENTERIES

Après Dangoté qui avait arrêté ses activités en juin, voilà que ce mercredi 07 septembre, la Sococim, la première et historique cimenterie du Sénégal décide d’arrêter sa production. En attendant le signal venant de la deuxième cimenterie, les Ciments du Sahel, le constat est que le secteur de la cimenterie est en profonde crise dont les origines pourraient être simplement la boulimie fiscale des régimes de Me Wade, mais aussi surtout de Macky Sall. Outre cette boulimie fiscale, l’Etat est resté sourd aux réajustements tarifaires réclamés urbi orbi par les cimenteries. En définitive, l’Etat a participé à installer les cimenteries dans la précarité.

La crise des cimenteries a atteint son paroxysme par la décision du leader historique la Sococim de Rufisque d’arrêter sa production. La première cimenterie injecte quotidiennement près de 10.000 tonnes de ciment par jour. Si les dirigeants de la Sococim ont pris cette grave décision, c’est comme Dangoté qui l’avait déjà fait en juin dernier, ils n’en peuvent plus. Les trois cimenteries qui sont très dépendantes des matières premières importées du marché international (charbon, clinker, emballage, gypse, pièces de rechange) qui ont flambé à plus de 200% n’en peuvent plus. Elles attendaient alors un signal fort de l’Etat mardi dernier lors de la réunion du Conseil national de la consommation présidée par la ministre du Commerce Aminata Assome Diatta. Cette dernière a reconnu la justesse des revendications de réajustements tarifaires des dirigeants des cimenteries qui sont confrontés à une inflation généralisée de certains produits sur le marché mondial, mais celles-ci la dépassent.

Aminata Assome Diatta se contentera de déclarations pour montrer son soutien aux cimenteries. « C’est la même situation du marché international qui frappe les industries de cimenterie du Sénégal. Elles exportent des produits dont les prix sont très élevés sur le plan international. Et face à cette situation, forcément les coûts de production sont impactés. C’est pourquoi je considère que la demande des acteurs du secteur pour une augmentation sur les prix est justifiée. Nous avions déjà produit une étude et nous avons trouvé que véritablement les cimenteries méritent de bénéficier d’un coup de pouce. N’oublions pas aussi que ce sont des Sénégalais qui y travaillent et si ces entreprises ne peuvent plus tourner, elles vont fermer leurs portes et ces personnes qui y travaillent seront envoyées au chômage. Et si ces personnes sont au chômage, ce sont des familles qui sont menacées directement », dit-elle dans un entretien avec Dakaractu. Cependant, Aminata Assome Diatta précise qu’aucun acteur du marché ne peut se lever un bon jour et décider de la hausse des prix des produits.

La ministre du Commerce souligne que cette décision émane du Conseil national de la consommation d’autant plus que le ciment fait partie des produits homologués par un décret présidentiel. « On ne peut pas se réveiller un bon jour et changer des prix. On a déjà échangé avec les acteurs techniquement et nous menons des études avec les services. Ce qui reste c’est de pousser encore la réflexion dans le cadre du Conseil national de la consommation. Parce que le ciment fait partie des produits qui sont homologués par décret et on ne peut pas se réveiller un bon jour et décider de la hausse du prix. Il faudrait d’abord passer par le Conseil national de la consommation pour voir exactement tous les paramètres qui justifient le choix d’une telle décision ». Elle a rassuré que « cette question sera largement évoquée à la prochaine rencontre du Conseil prévue très prochainement. Et à l’issue de ce conseil, une proposition sera faite au gouvernement pour déterminer les prix exacts qui seront retenus une bonne fois pour toutes».

Me Wade et Macky Sall « tuent » les cimenteries

Seulement le temps d’une convocation du Conseil national de la consommation, les cimenteries pourront difficilement continuer à tenir. L’Etat est alors appelé à prendre des mesures fortes et urgentes. Les premières mesures pourraient tout simplement être orientées vers la défiscalisation des cimenteries. «Nous avons atteint nos limites. Nos cimenteries sont de moins en moins rentables. Nous sommes obligés de défendre leur avenir». Ce cri de cœur est celui d’un industriel du ciment déjà en 2018 dans les colonnes de Sud Quotidien. Ce dirigeant expliquait que les industriels sont étranglés par les taxes de l’Etat. Le secteur du ciment a connu une spirale de taxations d’abord sous l’ère de Me Abdoulaye Wade.

Suite à un rapport sur l’impact peu satisfaisant des mesures dérogatoires (exonération fiscale accordées à l’industrie extractive du fait que les investissements réalisés ne seraient pas à la hauteur des importantes mesures d’allègements fiscaux accordées de même que la productivité demeure largement en deçà des résultats escomptés, le président Wade décida par un sursaut de patriotisme économique à l’épode à travers la loi de finances de l’année 2012 (la loi n°2011-20 du 13 décembre 2011), d’instituer une Contribution spéciale sur les produits des mines et carrières (CSMC) arrêtée à 5% sur le prix de la tonne. Malgré toutes les contestations des acteurs du secteur. Cette taxe devait être supportée directement par les entreprises et était budgétisé à près de 50 milliards. En 2017, sous Macky Sall, l’Etat instaure à une taxe spéciale sur le ciment de 3000 F HT/Tonne en 2017 pour financer le programme de 100 mille logements. Il s’agit de l’article 22 de la loi des finances 2017 qui, en son alinéa 3, dispose que «(…) cette taxe frappe les livraisons de ciment à un tarif fixé à 3 francs par kilogramme de ciment». Ce sont ces taxes de «trop» qui semblent être la pomme de la discorde.

Face à cet état de fait, les industriels avaient été contraints de réagir pour ne pas voir leurs entreprises mettre la clé sous le paillasson. D’où cette augmentation de près de 5000 F CFA sur la tonne qui a poussé l’Etat, que les industriels considèrent pourtant comme seul responsable, à sortir de ses gonds et à brandir sa menace de sanction. Les industriels de la cimenterie n’entendaient pas se plier à l’arrêté fixant les prix plafond du ciment, pris le 6 juin 2017 par le ministre du Commerce, de la Consommation, du Secteur informel et des PME. Au contraire ! Ils avaient même engagé une bataille judiciaire contre l’Etat, seul responsable, selon eux, de ce qui arrive aux consommateurs et aux cimentiers à cause de la multiplication des taxes. Ainsi, la taxe instaurée par l’Etat est supposée avoir un impact de plus de 3540 F TTC/ tonne directement sur le prix du consommateur sénégalais.

Toutefois, malgré les taxes de plus en plus nombreuses, du fisc sénégalais, les industriels soutiennent avoir maintenu des prix les plus bas de la sous-région. Les industriels du ciment déclaraient que «les taxes sur le ciment et leurs effets induits représentent près de 80 % des 4800 à 5000 F CFA d’augmentation de prix annoncés par les cimentiers. La part restante de l’augmentation n’étant même pas suffisante pour compenser les impacts liés au renchérissement des facteurs de production en une seule année. C’est donc dire que l’Etat est largement responsable de ce qui arrive aux consommateurs et aux cimentiers».

LES SOLUTIONS FISCALES POSSIBLES POUR LES CIMENTERIES

Dans une contribution de très haute facture, intitulée « Taxe sur le ciment, le coût d’une inconséquence fiscale » Elimane POUYE Inspecteur des impôts, Secrétaire général honoraire du Syndicat Autonome des Agents des Impôts et des Domaines (SAID) critique l’approche des gouvernements de Me Wade et de Macky Sall. Le technicien démontre qu’il est possible d’avoir des solutions fiscales qui vont préserver les intérêts des cimenteries, du gouvernement et des populations. « Aujourd’hui comme hier (en 2017) en (re)créant une taxe sur le ciment, l’Etat du Sénégal se retourne contre les consommateurs pour récupérer ce que les cimenteries lui ont privé suite à ses décisions trop généreuses. « En (ré) instituant une taxe incluse dans le prix du ciment, le Gouvernement épargne les cimenteries et s’attaque aux maigres revenus des sénégalais qui investissent dans l’immobilier, soit à la recherche d’un chezsoi, soit de revenus locatifs additionnels » souligne Elimane Pouye dans sa contribution partagée sur Léral.net le samedi 04 mai 2019. Ce texte d’une bruyante actualité ajoute que « du reste, il est observable que le Sénégal est l’un des rares pays en Afrique où les cimenteries sont éligibles aux régimes fiscaux de faveur prévus pour les entreprises minières, pétrolières et gazières. Cela est souligné dans un rapport de mission du FMI datant de 2012. La révision du Code minier de 2016 n’a pas remis en cause cela. Contrairement aux mesures prises et celles annoncées, la mise en œuvre du PSE, avec des besoins conséquents de financement par une plus grande mobilisation des ressources internes, devait être l’occasion d’une mutation en profondeur de la fiscalité des industries extractives en général et des cimenteries en particulier. Dans ce cadre, des solutions équilibrées sont bien possibles au-delà des réformes déjà introduites par la loi n°2016-32 du 08 novembre 2016 portant Code minier ».

Les solutions fiscales possibles

Le régime fiscal des industries extractives appelle une adaptation tant en ce qui concerne le dispositif normatif que sa gouvernance institutionnelle souligne l’inspecteur des impôts et des domaines. Elimane Pouye de noter que « dans ce cadre, il est possible d’engager des réformes de politique fiscale ou d’adopter des mesures d’administration fiscale. Il peut s’agir aussi de combiner les deux en même temps, étant entendu que ces aspects constituent les volets indissociables pour moderniser le système fiscal d’un secteur. Ces mesures appellent des ruptures profondes qui font la sourde oreille aux arguments fallacieux tendant à surdimensionner le poids de ces entreprises dans l’emploi salarié au Sénégal. La correction de la fiscalité des ressources minérales et une gouvernance vertueuse du système fiscal de ce secteur sont des enjeux fondamentaux de développement ». Le Sg honoraire du SAID explique que « dès lors, plutôt que de surtaxe les populations par (re)création d’une taxe sur le ciment, il est possible d’expérimenter quelques solutions. Comme la rationalisation des exonérations fiscales qui doit être engagée concurremment à la révision des contrats et conventions minières des entreprises du secteur, la renégociation du dispositif communautaire pour conformer le droit positif sénégalais à la législation sous régionale ». « Une taxe sur le ciment est assez injuste car faisant reposer la charge de l’impôt sur le consommateur final au moment où le capital, majoritairement étranger, est ménagé. Elle produit un impact négatif sur la consommation nationale et sur les consommateurs. Elle peut avoir des effets très négatifs sur le PIB compte tenu de l’apport du secteur des BTP à la formation du PIB » avait conclu Elimane Pouye.

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