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LES AVENTURES FRANÇAFRICAINES D’EMMANUEL MACRON

Vive Emmanuel ! Vive Emmanuel ! Vive Emmanuel ! Tard dans la nuit, à l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen, des vivats d’une foule surexcitée, venue acclamer l’hôte de Paul Biya, dissimulaient le bruit des réacteurs de l’avion présidentiel français.

Cette arrivée d’Emmanuel Macron au Cameroun le 25 juillet, me rappela celle de Tintin au Congo. L’intrépide reporter, et son chien Milou, débarquèrent d’un grand bateau sous les hourras. Un blanc, c’est rare ; en plus héros, cela vaut le détour !

Depuis 1931, rien n’a changé ? Comment expliquer cet engouement populaire, rarement spontané (c’est déjà un début de réponse !), pour un président blanc en terre africaine ? « Missié Emmanuel » n’était pas venu avec son tonitruant capitaine Haddock, en la personne de Jean-Yves Le Drian, jugé responsable d’une politique trop brutale et arrogante à l’égard de l’ancien pré carré.

Cela a assurément facilité les retrouvailles entre Biya et Macron. Le président français, entouré de ministres régaliens inconnus au bataillon (Colonna et Lecornu, je les cite pour leur faire un peu de publicité en Afrique), était accompagné de « Coco ». Rappelez-vous ! Ce jeune garçon avait pris place dans l’emblématique Ford T jaune de Tintin. Cette fois-ci, c’est Achille Mbembé, le décolonialiste en chef de l’Afrique, qui joue le rôle de « Coco », et donc de guide dans sa terre natale. Emmanuel et Achille sont inséparables, pas au point d’attribuer le rôle d’Haddock à Achille. Ce dernier, selon ses dires, a été charmé par Emmanuel lors d’un déjeuner à l’Elysée, assis côte-à-côte, une rencontre inoubliable.

Je comprends Achille Mbembé. Emmanuel Macron, c’est l’incarnation de la séduction kennedienne. Devant les jeunes camerounais, anciens participants du Sommet d’Achille à Montpellier, il prend la posture d’un premier de cordée. Manches de chemise retroussées, d’un blanc éclatant, main droite libérée du micro avec ses cinq doigts écartés comme un homme-poisson pour une gestuelle orchestrale, Emmanuel ensorcèle son auditoire. A ce moment-là, Thérèse s’égare dans un songe où Emmanuel, jeune retraité, et elle, auto-entrepreneure high-tech, financée par la Fondation d’Achille, vivraient heureux avec leurs enfants métis dans Noah Village, loin des tumultes d’Akon City.

Qui pourrait en vouloir à Emmanuel Macron lorsqu’il soutient ne pas être en Afrique pour donner des leçons ou promouvoir un modèle ? Qui pourrait en vouloir à Emmanuel Macron lorsqu’il reconnaît la vulnérabilité des démocraties libérales ? « Par rapport à il y a 20 ans, les démocraties libérales occidentales sont moins bien pour expliquer vers où tout le monde devrait aller », dit Emmanuel devant les jeunes d’Achille hypnotisés de bonheur. La manifestation devant l’ambassade de France des jeunes de Biya contre les propos d’Emmanuel du 22 février 2020, est une histoire ancienne.

Tintin au Congo, c’est plutôt bucolique, girafe, singe, éléphant…Les enfants adorent ! A y regarder de plus près, le héros Tintin, c’est le sauveur parfait dans l’imaginaire occidental sur fond de colonialisme vert : dans Tintin au Congo, notre jeune reporter soigne grâce à la modernité et ridiculise la culture des sorciers ; il éduque en remplaçant un missionnaire ; il insulte ces « tas de paresseux » ; il est ingénieux à plusieurs reprises (« Li missié blanc très malin ! ») ; il vient à bout d’une terrible machination, initiée par la mafia à Chicago, pour contrôler la production du diamant.

Emmanuel suscite la même réaction que Tintin. A priori, le nouvel Emmanuel Macron du second mandat, débarrassé de ses frasques jupitériennes, inspire la sympathie. Cependant, dans les dernières aventures d’Emmanuel en Afrique, je ne suis pas certain du changement. J’y vois plutôt une menace renforcée pour l’indépendance de l’Afrique.

En effet, Emmanuel, c’est toujours le sauveur de l’Afrique, dans la continuité de Tintin au Congo. Emmanuel, depuis la crise céréalière, se prend pour Bernard (Kouchner). Emmanuel, en chef des armées, se voit en protecteur du Nord du Cameroun et du Bénin, réinstaurant les vieux protectorats (officiellement à la demande de ces deux Etats. Idem au Mali. Et les USA ont conquis l’Océan Pacifique de la sorte). Emmanuel, en mère Teresa, forme les jeunes filles pour qu’elles soient libres de choisir leur vie : « Je suis super heureux (de cela) », dixit Emmanuel. Emmanuel, en vainqueur fair-play, restitue aux pays d’origine les butins des guerres coloniales. Emmanuel, il est super chouette !

Cette aide, généreuse, de la part d’Emmanuel, s’inscrit dans cette vision et histoire colonialistes. Emmanuel et Tintin, c’est du pareil au même. Mais 91 années séparent Tintin au Congo de la dernière tournée en Afrique d’Emmanuel Macron ! A l’époque coloniale, la France souhaitait le bien de l’Afrique (Aimé Césaire l’a contredit). Ce type d’argument est encore présent dans la mentalité française. Renaud Girard, dans Le Figaro, prétendait, avec condescendance, le 25 juillet 2022 : « Notre pays (la France) est la seule puissance qui souhaite sincèrement la réussite du développement africain. »

« Missié Girard et Emmanuel sont malins ». La crise céréalière, c’est une opportunité pour la France de se repositionner dans la méga bonne affaire du développement de l’agriculture africaine. Les contrats sont aussi juteux que les pépins d’une grenade. Emmanuel forme les jeunes filles. Il n’est plus question du taux de fécondité des jeunes africaines comme à Ouagadougou. Pas tout-à-fait ! Emmanuel pense secrètement que l’éducation est le meilleur rempart contre la natalité. La démographie reste un facteur de puissance, il faut veiller à ce que l’Afrique ne se hisse pas à la hauteur de la Chine et de l’Inde ! Les États, depuis la guerre froide, à l’exception du conflit en Ukraine, ne se font plus directement la guerre. Seulement, il faut bien nourrir le complexe militaro-industriel. Alors la lutte contre les djihadistes en Afrique, c’est une aubaine nourricière pour les vendeurs d’armes dont la France figure en pole position. Sans parler de la présence militaire française qui est un gage de contrôle des gouvernements africains d’où les crises de colère d’Emmanuel au Mali !

Quant à Achille, il a su faire évoluer « Coco », jusqu’alors peureux, naïf et légèrement idiot. Achille a domicilié la Fondation d’innovation pour la démocratie, à Johannesburg, là où il réside. On est toujours mieux servi par soi-même ! Quel contrôle sur cette fondation de 30 millions d’euros pour les contribuables français ? Quelle utilité de cette fondation dès lors qu’Emmanuel soulignait que nous n’avions pas de leçon à donner ?

Une autre ressemblance avec Tintin, notre super héros de bande dessinée a toujours des ennemis. Dans Tintin au Congo, c’est la mafia italo-américaine qui veut s’emparer des richesses du Congo-belge. Ce pays africain a été la possession personnelle de Léopold II pendant plus de 23 ans. C’est assez paradoxal qu’un dessinateur belge n’en fasse pas allusion et cherche ses ennemis ailleurs que chez lui. Emmanuel procède de la même manière qu’Hergé. Emmanuel, le représentant du néo-colonialisme et l’ancêtre de l’Empire colonial français, a besoin d’ennemis pour relancer la politique africaine de la France. La Chine et la Russie sont toutes désignées pour ne pas évaluer nos propres errements. Emmanuel a exporté au Cameroun et Bénin son expression favorite : les carabistouilles. Il accuse la Russie de désinformer et d’être l’une des dernières puissances impériales coloniales au monde.

Assez curieux d’accuser les autres lorsque le rêve d’Emmanuel est de réanimer l’Eurafrique, ce concept d’Empire de l’entre-deux-guerres où la relance de l’Europe passait par un marché commun avec une fordisation entre l’Afrique et l’Europe : les ressources premières aux Africains, et la transformation de celles-ci par l’Europe industrialisée (C’est ce qui se fait aujourd’hui mais sans réel marché commun !). Assez curieux d’accuser les autres lorsqu’Emmanuel est à la tête d’un des derniers pays-empire comptant de nombreuses îles d’Outre-mer désireuses d’acquérir leur indépendance. Que dire du statut de Mayotte (Département français) dont l’Assemblée générale des Nations Unies a rattaché cette île aux Comores ? Pourquoi Emmanuel n’a-t-il pas le même courage que la sénatrice australienne Lidia Thorne et ne qualifie-t-il pas, lors des G7, « Elisabeth 2 la colonisatrice » ?

À la jeunesse d’Achille, vous avez été triés, comme d’autres jeunes le sont lorsque, parfois, les chefs d’Etat sont en difficulté et trouvent en la France le parfait bouc émissaire face à leur propre tragédie. Dans la note Pangolin de la France, vous, issus de la société civile, êtes devenus la cible privilégiée de l’ancienne puissance coloniale.

Ne tombez pas dans le piège d’Emmanuel-Tintin ! Il vous fait croire à une histoire d’amour entre nos deux continents. « Il y a une histoire d’amour, un triangle amoureux à raviver : la France, le Cameroun et la Diaspora », vous a-t-il exprimé. Vous n’êtes qu’un instrument du soft power français : l’Empire français n’existe plus sans l’Afrique ! Vous pourrez un instant vous alimenter grâce aux fonds d’Achille, mais vous n’accéderez jamais à la plénitude de l’indépendance, ni pour vous, ni pour votre pays.

Emmanuel et Achille ont cocufié la démocratie et les droits de l’homme. Ces deux personnages traduisent le cynisme de la politique étrangère de la France : droits de l’homme et démocratie pour les faibles (ou les ennemis) et aucune leçon à donner pour les autres (amis anciens ou nouveaux amis). « Ce n’est pas avec le président Poutine ou avec d’autres que vous feriez ce genre de débats », a-t-il soutenu avec prétention. Il n’y a jamais plus dangereux qu’un ami qui vous veut du bien !

Permettez-moi de détourner une réplique de Tintin : « Le pire ennemi de l’Afrique, ce n’est pas la tempête qui fait rage ; ce n’est pas la vague écumante qui s’abat sur le pont, emportant tout sur son passage ; ce n’est pas le récif perfide caché à fleur d’eau et qui déchire le flanc du navire ; le pire ennemi de l’Afrique, c’est Emmanuel ! »

edesfourneaux@seneplus.com

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