« MONSIEUR MBACKIOU FAYE, ME BOUBACAR CISSÉ : UN PEU D RESPECT POUR LES RÉSIDENTS DE LA CITÉ MAMELLES-RENAISSANCE !».
Monsieur Mbackiou Faye, flanqué de son avocat Me Boubacar Cissé, a donné une conférence de presse hier, pour s’expliquer amplement sur le problème, le différent ou l’incompréhension – c’est selon – qui l’opposerait à l’Association des résidents de la Cité Touba-Renaissance. Il s’est longuement, très longuement expliqué sur son cursus, sur « sa longue expérience en matière de promotion immobilière », en se jetant au passage beaucoup de fleurs.
La première cité qu’il a créée, selon lui, est la Cité Fadia, en 1993. Oui, ici, il a parfaitement raison. J’ai ma maison dans cette cité. Je l’ai occupée en novembre 1993, à l’époque seul avec ma famille. Un ancien inspecteur de police et un professeur de philosophie m’y rejoindront un peu plus tard. Ce dernier est d’ailleurs, aujourd’hui, le délégué du quartier. Je rappelle quand même que Mbackiou Faye avait laissé un assez grand espace qui servait de terrain de football aux jeunes du quartier et un autre, bien moins grand, pour abriter une mosquée. Il a donc raison mais ce lotissement n’a rien à voir, vraiment rien à voir avec celui qui est devenu la Cité Touba-Renaissance. Il dit l’avoir créé, ce qui est fort possible, alors que le second lui a été créé. Tout est parti de ce fameux Monument de la Renaissance africaine (MRA) qu’il dit avoir financé à vingt-deux (22) milliards de francs CFA. Ce qui n’est pas tout à fait exact, comme est inexacte l’affirmation de son avocat selon laquelle le MRA « qui fait la fierté du Sénégal et de l’Afrique, est son œuvre et non l’œuvre d’Abdoulaye Wade ni de l’État du Sénégal ». Ils racontent tous les deux des histoires et ils le savent parfaitement.
Pour permettre à mes compatriotes d’en avoir le cœur net, je vais rappeler, dans le détail, l’histoire du financement de ce fameux MRA en tirant tous mes arguments du « RAPPORT PUBLIC SUR L’ÉTAT DE LAGOUVERNANCE ET DE LA REDDITION DES COMPTES » de l’Inspection générale d’État (IGE), juillet 2013.
Dans ses rapports, l’IGE prête une attention particulière à ce qu’elle appelle les « cas illustratifs de mal gouvernance ». Ainsi, au chapitre 1 du rapport de juillet 2013, elle retient deux cas de très mauvaise gestion foncière : le Monument de la Renaissance africaine (MRA) et le Domaine du Général Chevance Bertin de Bambilor (PP. 67-81). Pour le moment, je m’arrête sur le cas du MRA qui nous intéresse ici, un véritable scandale.
Tout est parti d’un rêve du vieux président-politicien : l’érection sur les Mamelles de Ouakam de ce fameux monument. Le coût se situant entre 12 et 14 milliards et le budget de cette année-là ne l’ayant pas prévu, du moins c’est ce qu’il prétend, il fait appel à une entreprise coréenne (Mansuadea Overseas Project Group) pour la réalisation du fameux monument. Il propose à ses Coréens – du moins c’est sa version –, des terres en échange. Mais le troc n’emballe pas ces derniers. Comme sa tête bouillonne d’idées, il trouve un autre modus operandi consistant à signer une convention avec Mbackiou Faye, en sa qualité de directeur ou de président de la Sci Promobilière. Sans appel d’offres (Me Wade en avait horreur). Au terme de la convention qu’il appelle la « dation », la société devait se substituer à l’État pour payer la facture de 12 à 14 milliards aux Coréens.
En contrepartie, l’heureux promoteur de l’alternance1 reçoit de l’État, de Me Wade plus exactement, 56 hectares, 03 ares et 56 centiares de la réserve foncière (encore une) de l’Aéroport international de Dakar. Et voilà le marché inédit conclu : le titre foncier lui est rétrocédé à 4410 francs CFA le m2. Donc, dès le départ de l’opération, c’est du faux et du mensonge d’État. Ce paiement en nature est improprement dénommé « dation », précise l’IGE qui rappelle que la « dation en paiement » est « une opération juridique par laquelle, en paiement de tout ou partie du montant de sa dette, un débiteur cède la propriété d’un bien ou d’un ensemble de bien lui appartenant ». Waaw, comment Me Wade, président de la République en exercice, et dans quelles conditions peut-il devoir à un Mbackiou Faye d’alors, une dette aussi importante, pour être obligé de lui payer en lui cédant les 56 hectares de la réserve foncière de l’Aéroport international de Dakar ? Je poserais la même question s’il s’agissait de l’État. Même, si par extraordinaire, la dette existait, le titre foncier ne lui appartient point. Donc, toute l’opération qui a fait de Mbackiou Faye un des milliardaires du vieux président-politicien est fondée, je le répète, sur du faux, sur un gros mensonge d’État.
Cette « dation en paiement » n’est pas le seul problème de l’opération. Les investigations menées par les contrôleurs de l’IGE ont permis de « constater de multiples violations de la loi et une absence totale du souci de préserver les intérêts de la collectivité ». Je ne les passerai pas toutes en revue. Le texte serait très long. J’en retiendrai quelques-unes sans rentrer dans les détails, renvoyant à ceux et à celles qui voudraient en savoir plus au rapport de l’IGE et aux pages que j’ai indiquées.
Violation systématique du Code des obligations de l’Administration et du Code des marchés publics, ainsi que du Domaine de l’État.
L’IGE constate que diverses règles de la commande publique n’ont pas été respectées.
Absence de la planification de la dépense.
Les travaux de réalisation du MRA ont été engagés sans que, au préalable, les crédits nécessaires à son financement n’aient été prévus au budget et ce, en violation des dispositions des articles 17 du Code des Obligations de l’Administration (COA) et du Code des Marchés publics (CMP). En effet, constate l’IGE, « la conclusion d’un contrat susceptible d’engager les finances de la personne administrative contractante est soumise à l’existence de crédits budgétaires suffisants et au respect des règles d’engagement des dépenses publiques » (article 17 du COA).
L’article 6 du CMP renforce cette soumission en ces termes : « La conclusion d’un marché public qui engage les finances de l’État, des collectivités locales, des établissements publics, des sociétés nationales et des sociétés anonymes à participation publique majoritaire, est subordonnée à l’existence de crédits budgétaires suffisants et au respect des règles organisant les dépenses desdits organismes. » Naturellement, le président de la République comme les agents publics acteurs de cette nébuleuse opération connaissent bien ces règles mais, si elles sont respectées à la lettre, il devient difficile de s’adonner à certaines pratiques que je n’ai besoin de préciser ici.
Absence d’appel à la concurrence
Toutes les parties rencontrées par les contrôleurs de l’IGE « ont reconnu que la réalisation de l’ouvrage a été confiée à l’entreprise sous la forme de marché de gré à gré, sans appel à la concurrence ». Or, lorsque le montant des travaux est égal ou supérieur 25.000.000 de francs CFA, l’appel à la concurrence par voie d’appel d’offres est obligatoire. Toutefois, précisent les contrôleurs de l’IGE, le gré à gré ou l’entente directe sont possibles si certains cas de figure de l’article 76 du CMP le permettent. La réalisation du MRA n’est prévue dans aucun de ces cas de figure.
Violation des règles des avenants
On se rappelle que le coût initial de l’ouvrage a été fixé à douze milliards de (12.000.000.000) de francs CFA. Á l’arrivée, on se retrouve avec un coût de vingt milliards (20.000.000.000) de francs, du fait d’un avenant de huit milliards (8.000.000.000) tombés d’on ne sait où, donc sans dossier technique justificatif, les acolytes de l’époque se contentant d’un « mémoire sans réclamation » (pour plus d’informations, se reporter à la page 71). Donc, contrairement aux déclarations de Mbackiou Faye et de son avocat, le MRA a coûté, selon l’IGE, vingt(20.000.000.000) au lieu de vingt-deux (22.000.000.000). Que sont donc devenus les deux milliards (2.000.000.000) supplémentaires annoncés par M. Faye et son avocat ?
Un autre point retenu par l’IGE c’est :
Violations du Code du Domaine de l’État
Les contrôleurs de l’IGE ont relevé de nombreuses insuffisances au niveau des documents de la convention dite « dation de paiement » sous la forme d’un « Protocole d’Accord » et son lourd avenant (66% du marché initial). Selon l’IGE, ce « Protocole d’Accord » ne fait pas partie des actes prévus par la loi n° 76-66 du 02 juillet 1976 portant Code du Domaine de l’État, en ce qui concerne la gestion du Domaine privé de l’État. Sur exactement quel texte se sont donc appuyés nos acolytes pour réaliser leur forfait – car c’en est un – ?
Sur les signataires des actes
L’IGE constate que les différents actes « ont été directement signés par le Ministre délégué auprès du Ministre de l’Économie et des Finances, chargé du Budget, avec la signature conjointe, selon la période, du Ministre du Patrimoine, de l’Habitat et de la Construction ou du Ministre d’État, Ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat, de l’Hydraulique urbaine, de l’Hygiène publique et de l’Assainissement ».
C’est encore une violation de la loi qui ne permet pas au Ministre de l’Économie et des Finances de signer ces actes, mais seulement de les approuver. Celui-ci comme les autres n’ignoraient certainement pas que, conformément aux articles 56 du Code du Domaine de l’État (CDE) et 24 de son décret d’application n° 81-557 du 21mai 1981, « les actes intéressant le Domaine de l’État sont dressés par le Service des Domaines », avec la représentation de l’État par « le Gouverneur dans la Région du Cap-Vert et par le Préfet territorialement compétent dans les autres régions ». Rien, dans ce domaine, ne pouvait se faire sans eux, leur présence étant donc obligatoire. L’IGE ajoute que l’intervention du Ministre chargé de l’Urbanisme est, elle aussi, sans base légale.
L’absence de protection des intérêts de l’État n’a pas échappé aux contrôleurs de l’IGE. Ils ne pouvaient pas l’être, avec le choix d’un mode de financement inapproprié, la défaillance de la Commission de Contrôle des Opérations domaniales et l’existence, naturellement, d’un conflit d’intérêts.
Le mauvais choix du mode de financement
Ce qui est remarquable, l’IGE « n’a trouvé aucune trace, dans les comptes de l’État, du financement de l’ouvrage ». Ce qui se comprend parfaitement du fait que ce financement a été pris en charge, dans les conditions que l’on sait déjà, « par un particulier(Mbackiou Faye) pour 20.000.000.000 de francs CFA, en contrepartie de l’attribution, en pleine propriété, de terrains domaniaux » dont nous avons déjà indiqué l’immense superficie. Pourtant, il faut le rappeler, le protocole signé avec le partenaire de l’État-Wade avait fixé le coût initial à 12.000.000.000 de francs CFA, devenu comme par enchantement 20.000.000.000, avec ce gros avenant de 8.000.000.000 justifié seulement par des « travaux supplémentaires ».
Pour montrer à quel point l’État-Wade a permis à son partenaire de s’enrichir rapidement de façon illicite, la société de ce dernier (société civile immobilière) « a procédé à la vente, à l’Institut de Prévoyance Retraite du Sénégal (IPRES) et à la Caisse de Sécurité sociale (CSS), c’est-à-dire des démembrements de l’État, deux parcelles de terrains d’une superficie de 184.353 mètres carrés et de 14.310 mètres carrés, à respectivement 27.652.950.000 francs CFA et 2.432.700.000 francs CFA ». L’IGE signale, que dans l’opération, la société du partenaire privilégié « a réalisé un gain de 7.652.950.000 francs CFA, compte non tenu des 36 hectares restants ». Combien d’autres milliards gagnera-t-il, en vendant les 36 hectares restants ?
Défaillance de la Commission de Contrôle des Opérations domaniales
Dans cette opération nébuleuse qui a enrichi sans cause le partenaire de l’État-Wade, la Commission de Contrôle des Opérations domaniales a failli à son devoir car, selon l’article 55 du Code du Domaine de l’État(CDE), toutes les opérations intéressant le domaine de l’État doivent être soumises à son avis et elle « est tenue de se prononcer sur leur opportunité, leur régularité et leurs conditions financières ».
Comment les responsables des huit services techniques de l’État qui la composent, ainsi que le Ministère de l’Économie et des Finances qui la préside, ont-ils pu fermer carrément les yeux sur cette opération nébuleuse et, en particulier, sur la partie qui les concerne et qui est déterminante dans la sauvegarde des intérêts de l’État ? « Elle aurait dû, selon l’IGE, émettre un avis défavorable et proposer aux autorités une autre solution », celle-ci pouvant être notamment, pour l’État, « de transiger directement avec l’IPRES et la Caisse de Sécurité sociale, d’autant que ceux-ci sont ses démembrements ». Contre toute attente, au lieu de veiller sur les intérêts de l’État, elle laisse un particulier sans mérite connu de s’enrichir aussi facilement, et sur notre dos, faillant ainsi manifestement à sa mission.
Je termine cette nébuleuse par un conflit d’intérêts constaté par l’IGE, « conflit manifestement préjudiciable aux intérêts de l’État », et qui est le fait de l’architecte conseil d’alors du vieux président-politicien. Pour la réalisation du MRA, il avait proposé au vieux président-politicien un entrepreneur et signé avec lui un « contrat d’assistance globale à la conception architecturale, aux études techniques et au suivi des travaux ». Á l’arrivée, constatent les contrôleurs de l’IGE, « il a été rémunéré par le contractant de son employeur avec qui il était en relations d’affaires, à hauteur de 920.000.000 de francs CFA, se plaçant ainsi dans une situation manifeste de conflits d’intérêts. »
Voilà donc l’histoire du financement du MRA qui a fait facilement de Mbackiou Faye un milliardaire. Je me pose beaucoup de questions, notamment celle-ci : Les Coréens sans visage ont-ils réellement reçu 22.000.000.000 de francs CFA ? En tout cas moi, je n’y crois pas du tout. Une autre question : le vieux président-politicien a-t-il fait de Mbackiou Faye un milliardaire par simple « générosité » ? N’a-t-il rien reçu de ce dernier en guise remerciements ? Encore une question : les nombreuses autorisations qu’il brandissait avec fierté sont-elles légales, si on tient compte du faux et du mensonge d’État de départ qui sont à la base du fameux financement, ainsi que de la violation flagrante des lois et règlements en vigueur qui a accompagné tout le processus ? En tout cas moi, Mody Niang, je me pose ces questions et me les poserai toujours.
Pour terminer, je signale que pendant la conférence de presse de Mbackiou Faye et de son avocat, ce dernier l’a présenté comme « un exemple à magnifier et qui mérite tous les honneurs ». Peut-être ailleurs, mais pas ici, où les populations de Ouakam, de Ngor, des Almadies et tout le peuple sénégalais devraient porter plainte contre lui et contre son « bienfaiteur ». M. Faye et son avocat ont aussi manifestement manqué de respect aux membres de l’association des résidents de Touba-Renaissance, en les réduisant à « trois pelés et à quatre tondus, y compris une certaine dame ». Cette certaine dame n’est pas tombée du ciel. Elle a des parents qui sont prêts à la défendre, même s’ils ne sont que des « Kumba amul ndey ». Par son cursus, celui-là vraiment exemplaire, elle mérite respect et considération. Elle a dirigé une première entreprise de 2004 à 2015, une seconde qu’elle dirige depuis 2018, après avoir été Directrice générale adjointe pendant deux ans (2016-2018). Les agents de toutes catégories qui ont travaillé et travaillent encore sous ses ordres, peuvent témoigner de sa compétence, de sa rigueur et de son honnêteté.
Enfin, Mbackiou Faye a déclaré, que ces rares pelés et tondus exceptés, les autres résidents viennent dans son bureau pour dire qu’ils ne sont pas parties prenantes des actions que mènerait l’association contre lui. Je ne crois vraiment pas qu’il ait raison. Et si, par extraordinaire, c’était vraiment le cas, on demanderait à la « certaine dame » de s’en laver elle aussi les mains.
Mody Niang
1 Jusqu’au 19 mars 2000, il était maire socialiste de Grand-Dakar et avait tout fait, à l’époque, pour que Me Wade ne fût jamais élu. Et il avait ses raisons, dont je connais quelques-unes, qui expliquent certainement sa rapide transhumance, après le 1er avril 2000. Évidemment, ces raisons, je ne les exposerai pas ici. Á moins que. . . .