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UNE COULEUR NOIRE

L’écrivain américain, Ta-Nehisi Coates, est l’un des auteurs dont la lecture m’a bouleversé ces dernières années. Je me souviens exactement de l’endroit où j’étais, de l’heure qu’il faisait et même de la météo de cette après-midi parisienne quand je lisais Une colère noire (Autrement, 2016). Il a ensuite publié d’autres livres dont Huit ans au pouvoir : une tragédie américaine (Présence Africaine, 2018) et La danse de l’eau (Fayard, 2021).

A travers ses articles dans le magazine The Atlantic et ses livres qui connaissent un succès mondial, Ta-Nehisi Coates est devenu la voix intellectuelle noire la plus puissante aux Etats-Unis. Selon Toni Morrison, il vient combler un vide laissé par la mort de James Baldwin.

Une colère noire est une lettre de l’auteur à son fils Samori, qui était âgé, à la publication du livre, de 15 ans. Il lui raconte, à travers les violences policières et les meurtres de Prince Jones, Michael Brown ou Trayvon Martin, la violence symbolique infligée sur les corps noirs. Pour Coates, cette violence systémique dans un pays qui représente, pour des millions d’individus, le rêve, confirme que l’Amérique s’est construite dans le racisme et se nourrit du même fléau.

Dans ce livre comme dans les suivants, Coates refuse d’envisager une solution, un soleil d’égalité qui va surgir du ciel de l’Amérique. Dans son recueil d’essais, Huit ans au pouvoir, il montre que malgré les années au pouvoir de Barack Obama, le racisme gangrène encore les institutions américaines. Black Lives Matter est une réponse éloquente à ceux qui pensaient que l’élection historique de 2008 a guéri le pays de sa maladie structurelle. Après les deux mandats de Obama, l’Amérique a élu un Président suprémaciste blanc. Donald Trump, raciste, misogyne, islamophobe, est le symbole de la revanche de l’Amérique blanche qui durant huit ans s’est assise sur son orgueil en supportant un noir à la Maison Blanche.

J’ai eu, il y a quelques semaines, le plaisir de recevoir chez moi Ta-Nehisi Coates et de parcourir, avec lui, quelques jours durant, Dakar. Il venait pour la première fois en Afrique et avait choisi de commencer par notre pays. J’ai vu un homme touché par le retour sur la terre de ses ancêtres. Ces hommes et femmes déportés durant de la Traite négrière en Amérique ont fécondé un peuple dans les Amériques qui font de l’Afrique leur suprême racine.

Durant son séjour, nous avons organisé une petite conversation au siège de la Plateforme des lanceurs d’alerte de Fadel Barro modérée par mon ami le philosophe Hady Ba. Y étaient journalistes, militants, artistes, cadres, étudiants, enseignants, curateurs… Et nous avons eu une discussion féconde sur le travail de l’auteur et ce qu’ici nous en faisons comme nourriture pour fertiliser nos luttes pour le progrès social.

En organisant cette rencontre, pour la première fois, j’ai senti le besoin de rester entre hommes et femmes noirs en dépit de mes convictions solides sur l’universalisme républicain. J’ai toujours eu une gêne au sujet des réunions non-mixtes mais cette fois, même si j’ai encore du mal à l’intellectualiser, j’avais le sentiment que nous devions être seuls. Parce que Prince Jones, Michael Brown, Trayvon Martin auraient pu être mes frères, mes amis, des camarades de fac, il est évident que nous faisons partie de quelque chose de plus grand qui a trait à notre identité et à notre statut de corps noir sujet à toutes les vulnérabilités, notamment raciales. Les Noirs constituent en soi une classe. L’argument de l’accueil généreux des Européens vis-à-vis des Ukrainiens car «ils sont comme nous» en pleine percée des extrêmes droites et la multiplication de gestes racistes vis-à-vis des étudiants noirs en Europe de l’Est en pleine guerre, disent quelque chose qu’il faut savoir entendre et décrypter.

A l’instar des réunions non mixtes des femmes au sujet des violences sexistes et sexuelles qui sont nécessaires pour libérer une parole enfouie souvent dans les abîmes de la honte et de la peur, parler de la violence sur les corps noirs en partage des deux côtés de l’Atlantique et dans les diasporas européennes, méritait de le faire entre nous.

Au-delà de l’amitié et de la connexion intellectuelle, quelque chose de plus grand me lie avec cet écrivain, et qui porte un nom «Afrique» et charrie une douleur et des douleurs et des exigences et une responsabilité. En 2018, il me disait ceci : «Je ne viens pas de nulle part. Je fais partie de quelque chose de plus large, lié à ce que les Noirs ont vécu, pas uniquement aux Usa, mais partout, en Martinique, Guadeloupe, dans les Caraïbes britanniques, en Angleterre, en Afrique pendant des siècles. Dès mon plus jeune âge, cela m’a été inculqué. Je suis allé à l’école avec des enfants appelés Kwame qui me rappelaient Nkrumah. Cet héritage a toujours existé autour de moi. Ma femme s’appelle Kenyatta, comme le révolutionnaire, et mon fils Samori.»

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