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«SEUL UN PREMIER MINISTRE CONSENSUEL POURRAIT SAUVER LA RÉPUBLIQUE D’ICI À 2024»

Dr Momar Thiam fut le premier conseiller spécial en charge de la communication du président Abdoulaye Wade en 2000. Diplomate et ancien Consul général du Sénégal à Bordeaux, Momar Thiam est Docteur en Sciences de l’information et de la Communication à l’Université Bordeaux Montaigne. Il est également diplômé en Administration publique option Diplomatie à l’Ecole nationale d’administration (Ena) de Paris. Actuel directeur de l’École des Hautes Études en Information et Communication (Heic), Dr Momar Thiam est aussi Expert-Consultant en Communication et Relations publiques. Un brillant communicant, donc, très bien placé pour analyser la situation politique nationale et décrypter les résultats des Législatives 2022 à travers une interview exclusive qu’il a bien voulu accorder au « Témoin quotidien ».

Le Témoin : Dr Momar Thiam, les électeurs sénégalais se sont rendus aux urnes le 31 juillet dernier pour choisir leurs députés. Quelle lecture faites-vous des résultats de ce scrutin ?

Dr Momar Thiam : Il faut d’abord saluer le déroulement du scrutin qui, malgré les empoignades des acteurs politiques, s’est fait dans le calme et la sérénité. Et pourquoi pas dans la transparence ? Mais tout cela est à mettre au crédit du Ministère de l’Intérieur et sa Direction générale des élections (Dge) chargée de l’organisation du scrutin sur l’ensemble du territoire national et de l’étranger. Les acteurs religieux et de la société ont également joué leur partition citoyenne avec des appels sans relâche au respect des règles républicaines. Malheureusement, le temps mis pour la proclamation des résultats et la bataille de la communication des deux principaux camps ont contribué à instiller des suspicions sur la réalité et la validité des résultats proclamés, ce qui est un peu dommage. Cela dit, les résultats sortis des urnes montrent une nette progression de l’opposition autour de la coalition Yewwi Askan Wi et Wallu Sénégal et un affaiblissement de la coalition Benno Book Yakaar (Bby), même si cette dernière est sortie première de cette compétition électorale. Une chose est sûre, jamais dans l’histoire politique de notre pays, l’opposition n’avait espéré autant de députés qu’au sortir des élections législatives de ce mois ce juillet. Une opposition qui sera bien présente dans l’hémicycle pour concrétiser sa stratégie dite de « l’Equilibre de la terreur parlementaire ». Mieux, si on y ajoute globalement les trois sièges d’Aar-Sénégal, des Serviteurs et de Bokk Guiss Guiss, mathématiquement, l’opposition représentera une majorité absolue…

Justement, cette considération mathématique peut-elle vivre et survivre dans la nouvelle Assemblée, si oui quelle sera la conséquence d’une telle addition des voix de l’opposition ?

Il est vrai qu’en matière politique, il est toujours souhaitable d’ajouter et non de soustraire, du moins électoralement parlant. Mais là, la nouvelle composition de l’Assemblée nationale annonce un schéma politique inédit avec deux pôles de l’opposition qui vont former des groupes parlementaires distincts et trois députés se proclamant de l’opposition et qui, comme le disent certains observateurs, seraient des « faiseurs de roi ». Un tel scénario qui s’annonce me fait dire que, pour une fois, l’Assemblée nationale ne sera plus l’antichambre d’une majorité au pouvoir, mais va retrouver ce qui fait sa véritable vocation c’est-à-dire être le lieu de l’expression démocratique autour du vote des lois, du contrôle de l’Exécutif et de l’évaluation des politiques publiques. Mais avant d’en arriver là, bien sûr qu’il y aura le vote pour la présidence de l’Assemblée, la constitution des bureaux etc. Justement c’est autour de cela que nous verrons les prémisses des accords, des compromis ou compromissions, bref, là où, à mon sens, va se dessiner une véritable majorité et une opposition forte ou affaiblie avec le jeu des alliances. Vous savez bien comme moi qu’en politique tout se négocie et, pour une fois, opposition et pouvoir seront dans les mêmes dispositions pour rallier la « bande des 3 », même si ces derniers ont toujours proclamé haut et fort leur ancrage dans l’opposition. La politique va reprendre ses droits.

Et le président de la République dans tout ça, quelle lecture, à votre avis, devrait-il avoir de cette situation sortie des urnes des législatives ?

Une très bonne question ! Le président de la République Macky Sall pour le nommer personnellement, les yeux dans les yeux, doit faire une lecture lucide et réaliste de cette situation inédite. Lucide, parce que les électeurs lui ont envoyé un signal très fort et éclatant en mettant coude à coude majorité et opposition avec une Assemblée nationale partagée et plurielle dans sa composition. Le président de la République ne pourra plus se prévaloir de « ses députés » et ces derniers ne pourront plus aussi s’affranchir des débats, par exemple pour le vote des lois et devront dorénavant faire preuve d’une présence remarquée et d’une implication productive. Désormais, toute absence en séance plénière risque d’être fatale à la mouvance présidentielle incarnée par Macky Sall. Parce que les députés du « pouvoir » composés souvent d’anciens ministres, de directeurs de société nationale, d’hommes d’affaires etc. avaient l’habitude de déserter les bancs de l’Assemblée nationale. Et lors des votes, la mouvance présidentielle ne sentait même pas leurs absences. Maintenant, tel ne sera pas le cas pour cette nouvelle législature où le moindre absent portera préjudice au PartiEtat qui n’a plus une majorité écrasante pour « écraser » l’opposition. Le président devra aussi faire une lecture réaliste de la situation parce que la réalité de cette nouvelle Assemblée dans sa pluralité est à l’image de l’électorat qui glisse progressivement vers une opposition constructive et un appel à une mutualisation des efforts et des politiques pour sortir le pays des difficultés que vivent les populations (Hausse des prix de denrées alimentaires, problématique de l’éducation et de la santé, mal-gouvernance et, de matière récurrente, la question des inondations malgré l’annonce des montants en milliards dépensés etc.) Le président de la République, fort de ce triste constat, devrait créer un électrochoc avec des actes forts et une démarche communicationnelle conséquente.

Avez-vous quelques pistes d’orientation ou de réflexion comme préalables ?

Evidemment ! Le préalable, à mon sens, serait l’amnistie de Khalifa Sall et de Karim Wade, même si ce dernier réclame haut et fort, en lieu et place d’une amnistie, une révision de son procès. Cela aura l’avantage d’apaiser le climat politique et de redistribuer les cartes, politiquement parlant. La cohésion nationale et la « paix des braves » seront au rendez-vous. Etant maitre du jeu politique, le président de la République doit faire revenir aux affaires Amadou Bâ, Aly Ngouille Ndiaye, Me Oumar Youm et Mouhamadou Makhtar Cissé. Et même Boune Abdallah Dionne pourrait revenir. Le retour aux affaires de ces poids lourds ne serait pas une mauvaise chose compte tenu de leur niveau d’excellence dans la gestion de la chose publique et, pour certains d’entre eux, leur niveau de représentativité politique. Seulement je rappelle qu’à ce niveau, seul le président de la République dispose de cette prérogative et est à même d’apprécier l’opportunité ou non d’une telle préconisation. D’abord, il doit s’adresser aux populations à travers la presse sénégalaise pour tirer ces deux enseignements du scrutin, sans faire preuve de triomphalisme comme l’ont fait certains de son camp, alors qu’à la place de l’objectif « Remontada », on a assisté à une véritable « dégringolada ». J’ajouterai qu’il gagnerait davantage en s’adressant à la presse sénégalaise pour créer plus de proximité relationnelle avec les populations. Seulement cette communication ne devrait pas uniquement se cantonner au verbe, mais elle doit fondre dans les actes à poser. Donc il s’agira, pour Monsieur le Président de la République, de se situer au-dessus de la mêlée et de s’affirmer en véritable rassembleur du peuple sénégalais, et donc de ne pas être prisonnier d’un camp, d’un groupe ou d’une entité quelconque. Vous n’êtes pas sans savoir qu’au sortir de ces élections locales et législatives, le peuple est politiquement divisé voire coupé en deux. A cet effet, le président de la République Macky Sall ou le président de tous les Sénégalais est appelé à jouer au rassembleur pour mieux gouverner d’ici à 2024. Ensuite, à la lumière des résultats des législatives, le président de la République doit appeler l’opposition à un dialogue et à des concertations sur les véritables urgences du moment (y compris la nomination d’un Premier ministre et la composition du nouveau gouvernement). Cette démarche pourrait déboucher sur un consensus pour la constitution d’un gouvernement élargi vers l’opposition avec la prise en considération des demandes et impératifs de cette dernière. Et l’impératif ne sera autre que le redressement du pays dans certains secteurs et l’affirmation d’une opposition productive et constructive à l’aube de l’échéance 2024. En procédant de la sorte, le président de la République se positionnera en véritable « sélectionneur » comme pour une équipe nationale. évidemment, sous ce format, le capitaine serait le Premier ministre (ou la Première ministre), choisi, et à ce niveau, vu les considérations des uns et des autres dans son propre camp, le choix serait problématique s’il venait à choisir une personnalité de son propre camp à cause du débat sur le dauphinat.

Et quel que soit le profil ?

Quel que soit le profil du futur Premier ministre, les Sénégalais verront toujours en lui le potentiel dauphin de Macky Sall. Pire, il sera même combattu dans son propre camp de l’Apr ou de Bby jusqu’en 2024. Et cette bataille de positionnement risque de plomber l’attelage gouvernemental et de freiner la bonne marche du pays. Donc, à mon avis, un Premier ministre consensuel, aux compétences reconnues, épris d’éthique et de déontologie, serait le moindre mal. Un Premier ministre consensuel avec un sens républicain sans faille, rien que pour coordonner l’action gouvernementale autour surtout des urgences de l’heure serait le bienvenu. Ce profil d’un digne Premier ministre, le Sénégal en dispose ici et dans la diaspora, et le choix revient toujours au président de la République. Toujours est-il que cela aura aussi l’avantage de donner un souffle nouveau et une démarche nouvelle à l’action gouvernementale. Un tel schéma cadrerait plus avec la composition de la nouvelle Assemblée et aura l’avantage de créer plus de souplesse entre le gouvernement et l’Assemblée nationale afin d’éviter des blocages dans le vote. Mais attention ! Si toutefois l’opposition aura une majorité absolue, un autre débat s’imposera à propos de la nomination du Premier ministre.

Ces lendemains de Législatives 2022 ont encore prouvé qu’en démocratie, seul le peuple est souverain. N’est-ce pas Dr Momar Thiam ?

Oui ! Le peuple sénégalais a encore montré sa souveraineté par la voie des urnes. Et dans cette lancée, les résultats ont rappelé aux politiques que le dernier mot revient aux électeurs qui sont devenus aujourd’hui de véritables acteurs de la gestion de la chose publique. Cela démontre inéluctablement que la politique n’est plus cantonnée dans sa définition première à savoir la « gestion de la cité », mais est devenue « l’affaire de la cité » dans toute sa dimension et sa pluralité. Le citoyen n’est plus un simple « réceptacle de politique », mais un « acteur dominant » de celle-ci. Phénomène amplifié par Internet et les réseaux sociaux. L’intégration de cette nouvelle donne dans l’appréciation des résultats par le président de la République et sa considération dans les mesures et choix demeure un impératif de survie politique.

Justement, notre dirpub Mamadou Oumar Ndiaye et Abdoulaye Bamba Diallo, une autre icône de la presse, ont cosigné une lettre ouverte intitulée : « Monsieur Le Président de la République, maitre du jeu, sortez-nous de cette impasse actuelle » ! Quelle lecture faites-vous de cette lettre ?

Dans ma réponse à la question précédente, j’ai parlé de survie politique. Je suis tenté d’y rajouter une survie nationale si je me réfère aux différentes considérations fortes et pertinentes contenues dans cette lettre. La question de la justice, de l’éducation, de la santé et de la gouvernance telle que relatée par ces deux belles plumes, à savoir Mamadou Oumar Ndiaye et Abdoulaye Bamba Diallo, m’amène à penser que le président de la République a fort à faire dans cette dynamique. Et qu’il devrait utiliser tout ce que lui confère sa position pour marquer le tempo et donner les orientations qu’il faut pour faire face à ces problématiques. Cela démontre que tout converge vers lui et qu’il demeure le seul à pouvoir impulser ces « efforts » préconisés puisqu’il est le « maitre du jeu » politique. A ce titre, cette lettre sonne comme un appel à plus de veille sur la marche des institutions, plus de justice pour tous et plus de considération pour les populations. Donc les invectives, le langage dégradant et violent de certains politiciens de la politique politicienne, la sauvegarde des intérêts individuels et des positions, le reniement qui mène à la transhumance politique, doivent céder le pas à une gestion saine et partagée de la cité dans un esprit républicain et citoyen. Je rajouterai qu’à mon sens, l’Administration, qui est la pierre angulaire de la gestion de la chose publique à côté des politiques, doit retrouver son élan et son véritable rôle pour une meilleure considération des usagers du service public. Et pour cela, il urge, face à son démantèlement progressif et son défaut d’adaptation aux nouvelles technologies du numérique, d’organiser les « états généraux » de l’Administration afin de permettre à tous ses corps de faire son diagnostic de l’existant, de préconiser des pistes d’amélioration des services et de faire des recommandations pour sa refonte.

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