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THIERNO ALASSANE SALL : ESPRIT, REBELLE

Quand j’ai rencontré Thierno Alassane Sall la première fois, nous avons eu une longue conversation d’environ 4h 30 mn. Nous avons parlé de son livre que j’avais lu avec intérêt ; l’ouvrage diffère des traditionnels livres politiques, qui sont souvent un condensé de lieux communs sans consistance et relatés dans une langue pauvre. Puis nous avons discuté d’histoire et de littérature ; de Victor Hugo dont il est un lecteur attentif, de Sankara qu’il tient en estime, de Fanon et de nombreux auteurs dont Marx, qui peuplent son hôtel de l’insomnie. Il m’a fait l’honneur de me faire visiter sa bibliothèque remplie d’essais politiques, d’ouvrages de philosophie et d’histoire, de biographies d’hommes d’Etat de diverses régions du monde. Thierno Alassane Sall, compétent et rigoureux, est très cultivé. Ayant la particularité de côtoyer beaucoup d’hommes politiques, je dois reconnaître qu’il est agréable de discuter avec quelqu’un qui a cette dimension intellectuelle devenue rare sous nos cieux. Le monde politique sénégalais est peuplé d’individus grossiers et sans talent, des personnes vulgaires mues par la réussite sociale qui échafaudent des plans pour exister par le mensonge et la manipulation et récolter des dividendes électoraux.

J’ai revu plusieurs fois Thierno Sall, et nos discussions ont toujours duré des heures, car sa compagnie intellectuelle est agréable. Nous avons des désaccords au sujet de points précis. L’homme peut être rigide, et je n’avais pas approuvé la divulgation de certaines informations dans son livre qui me paraissaient devoir rester secrètes. Avec le temps je le connais davantage, notamment par l’intermédiaire d’un de ses conseillers, mon ami Pape Sène avec qui j’ai écrit un livre il y a quelques années. Pape est un intellectuel romantique, un fin lecteur de Cheikh Anta Diop, qui transporte des idéaux d’une époque ancienne et glorieuse dans ces temps modernes où le dérisoire est promu en sacro-sainte valeur.

Avoir le type de profil de Thierno Sall dans l’opposition est salutaire pour l’intérêt et le niveau du débat démocratique. Le célèbre «Nous allons réduire l’opposition à sa plus simple expression» a été une formule malheureuse qui poursuivra son auteur, même au terme de sa carrière politique. Elle rappelle le triste ma waxon waxet qu’a traîné Abdoulaye Wade tel un fardeau. Le Sénégal est une démocratie ; une démocratie s’honore d’avoir une opposition vive et féconde. Parmi celle-ci, diverse et foisonnante, figurent des populistes et des démagogues mais aussi, heureusement, des personnalités républicaines au sens élevé des responsabilités, à l’instar de Théodore Monteil, Ibrahima Dème ou Thierno Sall.

Ce dernier est exigeant, parfois peu souple, mais honnête et responsable. Sauf catastrophe, il sera député de la prochaine législature, et c’est une très bonne nouvelle pour le débat démocratique et la vitalité de l’opposition républicaine. Thierno Sall fera un excellent député, s’il met sa hargne et sa compétence au service de son mandat pendant cinq années.

Il ne sera pas dans les coups d’éclat, n’échangera ni insultes ni coups de poing dans ce lieu sacré des institutions républicaines. J’ai foi en la capacité de l’homme à être un «député du peuple», expression depuis galvaudée, mais dont la signification première me semble juste.

La filiation de gauche et le courage de l’homme l’obligent, malgré l’adversité virulente et radicale au régime Bby, à ne jamais se départir de l’exigence de hauteur et de responsabilité. Le débat public est pris en otage par des excessifs et des insignifiants de tous bords. Ces derniers paradent et veulent sponsoriser toutes nos idées pour voir laquelle est digne d’être portée. La vulgarité a pris ses aises dans le corps politique. Or, dans un tel contexte, être révolutionnaire, c’est faire preuve de nuance dans le propos tout en étant ferme sur les principes.

Le chef de la République des Valeurs fait face à la meute, ignore les médisances de journalistes et commentateurs partisans et arides. Il refuse les injonctions à la soumission. Il a été l’un des premiers à s’opposer fermement à l’appel à la violation de la Constitution et au report des élections porté par la bien bavarde société civile de Twitter quand «la liste» de cette dernière a été rejetée par le Conseil constitutionnel.

Thierno Sall est une métaphore humaine de l’insoumission. Pas surprenant, pour un homme qui a fourbi ses armes dans le syndicalisme lycéen et dans les arcanes du vieux parti de gauche And Jëf, fabrique précieuse de penseurs et de militants en col Mao dont l’influence sur la politique sénégalaise est vieille de plusieurs décennies. La formation académique, la culture politique, l’expérience de l’Etat font de Thierno Alassane Sall un esprit, un rebelle, qui ne verse ni dans le folklore dépolitisant ni dans l’injure permanente.

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