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A QUI PROFITERA LA PROCHAINE LÉGISLATURE ?

Après la publication des résultats provisoires des Législatives par la Commission nationale de recensement des votes, une nouvelle configuration se dessine au sein de l’hémicycle de la Place Soweto avec la perte par la coalition Benno Bokk Yaakar (BBY) de sa majorité absolue. L’Assemblée nationale va-t-elle retrouver son pouvoir ? C’est-à-dire les prérogatives que lui donne la Constitution et notamment la possibilité de faire des enquêtes et audits crédibles, de contrôler réellement l’Exécutif, d’initier des lois et non plus de se contenter d’avaliser celle que lui présente le président de la République etc. Une chose est sûre, désormais, rien ne sera plus comme avant avec la disparition d’une majorité mécanique au service des chefs d’Etat en place et qui dictait sa loi aux groupes minoritaires de l’opposition.. Décryptage avec des politologues.

Selon M. Moussa Diaw, enseignant chercheur en sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint Louis, la prochaine configuration de l’Assemblée nationale doit refléter normalement les résultats sortis des urnes. Autrement dit, traduire dans les faits l’expression des citoyens grandement favorables à l’opposition. Maintenant, on se trouve dans une situation où les deux coalitions, Benno de la majorité sortante et Yewwi/Wallu de l’opposition, n’ont pas obtenu le nombre de sièges suffisants pour avoir la majorité absolue, souligne Pr Moussa Diaw. « Dans ce cas de figure, les manœuvres politiques risquent de dévoyer le vote des citoyens pour déboucher sur une Assemblée dont la configuration serait le résultat de négociations entre des parties selon des intérêts à fortes connotations politiques. Et cela pourrait engendrer des défections d’un côté comme de l’autre avec comme conséquence une composition éloignée des préoccupations des citoyens. Car ces derniers, à la lecture des résultats, souhaitent voir au niveau de l’hémicycle des représentants dévoués à leur cause et remplissant sans réserve leurs fonctions de proposition de lois, contrôle du gouvernement et surtout d’évaluation des politiques publiques. En résumé, une rupture dans les pratiques d’une majorité mécanique, inféodée à l’exécutif », analyse le politologue.

MOUSSA DIAW : « L’opposition doit batailler ferme pour imposer un consensus sur le choix de la personne à porter au perchoir »

Le Pr Moussa Diaw estime que, pour le choix du président de l’Assemblée nationale, les choses ne seront pas faciles d’autant que la majorité absolue fait défaut. Il ne reste que des pourparlers dans un camp comme dans l’autre pour espérer remporter ce poste prestigieux. « La majorité sortante est dans une position inconfortable pour proposer un président ou une présidente. L’opposition, à condition qu’elle soit réunie, est capable de changer les rapports de forces et d’amener la majorité à dialoguer afin de trouver un consensus permettant de régler cette question cruciale relative au choix de la personne à porter au perchoir. Sans doute, ce choix fera l’objet de compromis pour éviter des empoignades et crises au sein de l’hémicycle », veut croire Pr Diaw. Pour ce qui est de savoir si le prochain gouvernement aura les coudées franches ou pas, l’universitaire précise que tout dépendra de plusieurs facteurs. D’abord, de sa composition dans la mesure où cette équipe devra comprendre et traduire les messages des citoyens exprimés à travers le scrutin du 31 juillet dernier. « Il devra s’agir d’un gouvernement qui ne soit pas pléthorique mais efficace et capable de régler les difficultés quotidiennes des populations. Ensuite, la bonne gouvernance et la transparence sont des exigences dans la détermination des priorités. Qui plus est, la communication constitue un facteur important à privilégier dans l’action gouvernementale » a ajouté M. Diaw.

« Les Sénégalais semblent avoir réglé la question de la transhumance »

Toutefois, Pr Moussa Diaw souligne que l’hypothèse de la transhumance de l’opposition vers le pouvoir est aussi valable dans le sens inverse. « Vous savez la logique. Généralement, c’est la recherche de biens matériels et de pouvoirs qui conduit les responsables politiques à transhumer. Cette question semble avoir été réglée par les citoyens qui ont sanctionné des leaders reconnus dans cette propension à travestir la politique pour des intérêts personnels. Cela ne veut pas dire non plus que la question est définitivement réglée. Car peut-être que certains, sans scrupules, braveront l’interdit. Le président Macky Sall n’a pas beaucoup de choix qui s’offrent à lui. Soit, il respecte la Constitution comme il l’a laissé entendre en quittant le pouvoir au terme de son mandat en 2024. Il peut soutenir un candidat dans son camp. Soit, il est tenté de briguer un troisième mandat avec le risque de violer la Constitution, de créer une crise politique dont l’issue est incertaine » souligne l’enseignant-chercheur en sciences politiques à l’UGB.

La présidence de l’Assemblée nationale sera âprement disputée, selon l’analyste Mamadou Sy Albert

Mamadou Sy Albert rejoint le Pr Moussa Diaw sur les chances qui s’offrent à l’opposition pour occuper le poste de président de l’Assemblée nationale. A en croire le très pertinent analyste, le perchoir peut revenir à l’opposition s’il y a une unité de vue concordante au niveau des missions de l’Assemblée et son organisation. « C’est une première dans l’histoire du pays. On a aura une Assemblée qui ne sera pas contrôlée par le parti au pouvoir et du président de la République. Ce qui veut dire que la présidence de cette Assemblée va être âprement disputée. Le Benno ne pourra pas imposer un président de l’Assemblée nationale. Cette coalition n’a pas eu la majorité absolue pour cela. L’opposition, si elle est organisée avec l’inter coalition Yewwi- Wallu, plus les trois représentants des autres coalitions, elle pourra faire élire quelqu’un à la tête de l’Assemblée » dit M. Mamadou Sy Albert.

Les craintes d’un dysfonctionnement pour la marche de notre pays, selon Mamadou Sy Albert

La coalition Benno Bokk Yaakar doit trouver des mécanismes pour avoir des consensus avec l’opposition, estime notre interlocuteur. A défaut d’un consensus avec toute l’opposition au moins s’entendre avec les trois députés qui n’appartiennent pas aux deux grandes coalitions. Nécessairement, dit-il, il faudra des consensus de part et d’autre. « Le consensus va être un élément déterminant dans le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Il est évident que le futur gouvernement est attendu. La nomination du prochain Premier ministre est attendue.

L’Assemblée va tout faire pour jouer son rôle de pouvoir législatif. Elle pourrait être très jalouse de ses prérogatives. Là, quel que soit le Premier ministre qui sera nommé, s’il n’est pas capable de travailler en intelligence avec le pouvoir législatif, il ne pourra pas travailler sur la question par exemple du budget, autrement dit la loi des finances, sur les autres questions concernant le coût de la vie, les crises récurrentes dans les secteurs sociaux. Il faudra un Premier ministre et un gouvernement capables de dialoguer, capables de trouver des consensus avec le parlement. C’est sûr et certain qu’il y aura une situation inédite. Le gouvernement devra tenir compte du pouvoir législatif », développe Mamadou Sy Albert. Selon qui, le même impératif s’impose au président de la République.

Pour les 18 mois restent de son mandat, il a intérêt à travailler en intelligence avec l’Assemblée nationale. « Maintenant que le président est réellement minoritaire à l’Assemblée, il a un problème de confiance. Les populations n’ont plus confiance à la majorité présidentielle. Le président est trop isolé. Comment va-t-il s’en sortir ? Je crois qu’il devra prendre l’initiative pour mettre de l’ordre dans son parti. Il lui faut une feuille de route sur les deux ans (Ndlr, en réalité 18 mois) qui restent de son mandat. La feuille de route, c’est comment il va gérer le pouvoir exécutif, comment il va gérer les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, comment il va répondre aux urgences économiques et sociales des Sénégalais. Comment il va préparer la prochaine présidentielle. Ce sont de grosses questions pour lesquelles le président a intérêt à réunir son état-major pour déterminer une feuille de route. Il faudra aussi qu’il parle aux qui aimeraient bien savoir, peut-être, à l’issue de cette deuxième défaite, ce qu’il a à leur dire. Il doit essayer de retrouver la confiance sans démagogie », préconise Mamadou Sy Albert.

BACARY DOMINGO MANÉ, JOURNALISTE ET POLITOLOGUE : « Cette Assemblée nationale doit profiter à l’opposition pour remettre les pendules à l’heure »

Selon le journaliste et politologue Bacary Domingo Mané, cette force représentative constitue une aubaine pour l’opposition afin qu’elle puisse régler un certain nombre de questions entravées ou jetées dans des tiroirs par le pouvoir en place. D’après l’ancien journaliste à « Sud quotidien », l’opposition constitue aujourd’hui une force si elle décide de se mettre ensemble. Cela dit, la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale va imposer un dialogue, des concertations entre les différentes forces représentatives. « Ce à quoi on avait l’habitude d’assister, c’était à des projets de lois qui passaient comme la lettre à la poste. Tout cela sera désormais devient derrière nous. Parce qu’avec cette nouvelle configuration, c’est notre démocratie qui en bénéficiera.

Par conséquent, il faut que les députés jouent le jeu et profitent de cette période de transition par rapport à 2024 pour revenir sur certaines décisions ou certaines lois qui étaient adoptés par le pouvoir en place. Notamment, la gestion de nos ressources pétrolières, gazières etc. Et aussi, prendre certaines décisions concernant la liberté de la presse, la loi sur la dépénalisation de la liberté de presse. Toutes ces lois doivent en principe consolider notre démocratie. Je pense qu’il y a fort à faire. Cette Assemblée doit profiter à l’opposition pour lui permettre de remettre les pendules à l’heure. Là où on attend les députés, c’est au niveau de l’argumentaire et aussi l’initiative de propositions de loi » estime le journaliste-politologue.

Contrairement à nos deux précédents interlocuteurs, pour Bacary Domingo Mané, par ailleurs philosophie de formation, l’opposition n’a aucun intérêt à prendre la présidence de l’Assemblée nationale pour une durée de 15 mois. En effet, argumente-t-il, le prochain président aura fort faire car son rôle ne sera pas du tout repos. M. Mané ne s’attend pas non plus à une transhumance des députés du plus fort reste vers le camp de la majorité. A l’en croire, il faut être intéressé par l’argent et sans ambitions pour rejoindre la majorité présidentielle. « La politique est une recherche de consensus. La nouvelle configuration va imposer une fois de plus des accords sur un certain nombre de dossiers. Etant donné qu’aucune coalition ne dispose de la majorité absolue, il va falloir vraiment privilégier les consensus, mettre en avant les intérêts des Sénégalais. Tout projet ou proposition de loi devra faire l’objet de discussions approfondies » estime l’ancien journaliste à « Sud Quotidien ».

Selon Bacary Domingo Mané, le président Macky Sall risque de terminer difficilement son mandat s’il veut effectuer un forcing sur certaines décisions. « Tout dépendra des actes qu’il va poser. S’il continue de poser des actes qu’il avait habitude de faire, alors qu’il est désormais minoritaire à Assemblée nationale, il doit s’attendre à ce que l’opposition ne se laissera pas faire. C’est à ce niveau-là qu’il faut essayer d’analyser les choses si le président veut gouverner tranquillement le temps qui lui reste de son mandat », conclut Bacary Domingo Mané.

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