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DAKAR ET SES PARADOXES, QUELLES SOLUTIONS POUR LES INONDATIONS ?

Pendant que les eaux de pluie envahissent tout, l’eau manque dans les robinets. C’est comme s’asseoir sur une montagne d’or et crever de faim.
La région de Dakar, anciennement appelée région du Cap vert, c’est seulement 0,3% du territoire national, soit un véritable mouchoir de poche. Pourtant elle abrite 80% des activités économiques du Sénégal. Presque toutes les opportunités du pays s’y trouvent concentrées. Résultats : près de 25% de la population du pays, soit plus de 4 millions d’êtres humains, s’y agglutinent.

Dakar est une presqu’île. Contrairement à d’autres capitales africaines, comme Bamako, Ouagadougou ou Niamey, Dakar ne peut s’étendre aux quatre points cardinaux, entourée qu’elle est par la mer au Nord, à l’Ouest et au Sud.

Dakar patauge déjà sur une nappe qui affleure et ne peut donc absorber les quantités d’eau qui se déversent lorsque le ciel ouvre ses vannes.
Malgré toutes les limites identifiées ci-dessus (non exhaustives), sa centralité continue d’attirer chaque jour que Dieu fait, des flux importants de populations à Dakar. En 1960, Dakar abritait moins de 10% de la population du pays. Aujourd’hui, plus de 23% des Sénégalais y vivent dans une promiscuité indescriptible avec une pression insurmontable sur les services sociaux de base (santé, éducation, hydraulique, assainissement, etc.).

L’énorme flux migratoire des années 70, années de terrible sécheresse, aurait dû alerter les décideurs de l’époque. Malheureusement, il n’en a rien été. Aucune politique alternative sérieuse n’a été développée pour anticiper les difficultés actuelles en prenant les mesures courageuses nécessaires pour inverser les tendances migratoires par une décentralisation intelligente des opportunités et une déconcentration administrative conséquente. Au contraire, l’idée a été plutôt de trouver d’autres espaces tout autour de Dakar où les populations pourraient s’établir. En somme, on a fait du «gnabgnabal» avec les déguerpissements des années 70 pour repousser les populations laborieuses vers Pikine, Guédiawaye, Keur Massar, d’où elles affluent chaque matin par milliers ou dizaines de milliers vers les zones d’opportunité de Dakar. D’ailleurs, beaucoup de quartiers de la banlieue portent encore les noms qu’ils avaient quand on les déguerpissait de Dakar. Un sérieux devoir d’inventaire de cette période nous incombe, nous les contemporains d’aujourd’hui, mais en même temps nous interpelle sur une sérieuse prise de conscience de nos responsabilités vis-à-vis des générations à venir. Allons-nous à notre tour prolonger le calvaire et léguer aux prochaines générations, une bombe à retardement dont elles ne pourront absolument pas se débarrasser, tellement les processus de désintégration et de dégradation des conditions de vie s’accumulent et s’accélèrent ?

Dakar est victime d’un détournement d’objectif non assumé de la part des premières générations de décideurs post «indépendance».
L’administration coloniale avait conçu Dakar (Plateau) comme une cité moyenne, maîtrisable, abritant dans un cadre idyllique, les fonctionnaires coloniaux venus de la Métropole et les infrastructures nécessaires à leur épanouissement :
Etablissements administratifs, écoles, hôpitaux, marchés, lieux de culte, de culture et de divertissement, etc.
Infrastructures de drainage des matières premières : une gare pour le train Dakar-Niger, reliant Bamako à Dakar, et le train Saint Louis-Dakar avec des lignes secondaires permettaient de collecter les productions diverses de l’intérieur du pays.
Infrastructures portuaires à côté de la gare, où les bateaux accostent pour charger le tout en direction de la Métropole.
L’aéroport de Dakar-Yoff complétait le dispositif qui permettait à Dakar d´être la capitale de huit (8) territoires coloniaux de l’Aof (Afrique occidentale française).

Aux yeux des colons qui l’ont conçue, Dakar n’avait pas pour vocation d’accueillir 25% de la population du pays. D’ailleurs, beaucoup de nos concitoyens ne savent probablement pas encore aujourd’hui, qu’à l’approche des indépendances de 1960, Dakar devait être coupée du reste du territoire du Sénégal pour être rattachée à la France comme département d’Outre-mer. N’eussent été le courage et la détermination du Président Mamadou Dia et de ses compagnons, le sort de Dakar aurait pu être celui de La Guadeloupe ou de La Martinique, c’est-à-dire une région monodépartementale ou Drom (Département et région français d’Outre-mer). Saint-Louis resterait alors la capitale du Sénégal indépendant après avoir été la capitale de la colonie du Sénégal. Le Président Dia eut la fermeté nécessaire pour transférer promptement la capitale du Sénégal de Saint-Louis à Dakar, tuant ainsi dans l’œuf ce sinistre projet colonial concocté avec des complicités locales. Un tel schéma aurait été à tous égards, catastrophique pour notre pays. Mais on n’a pas, par la suite, réfléchi pour bâtir une nouvelle économie, une nouvelle école, une nouvelle agriculture, un nouveau système de santé, bref, remplacer une colonie par un pays souverain au sens plein du terme.
Nous sommes aujourd’hui héritiers de ces errements dont nous nous serions volontairement passés, pour dire vrai.

Les débats sur le sort des 700 milliards investis dans la lutte contre les inondations sont certes pertinents dès lors qu’il est question d’argent public. Il convient de tout savoir sur la destination et les usages des fonds publics, punir la corruption, les détournements et autres prévarications. Mais nous serions mal inspirés de nous limiter seulement à dénoncer et à nous indigner en pensant qu’il suffit d’une bonne gestion de cette manne financière pour trouver la vraie solution des problèmes d’inondations à Dakar. Il reste constant que même si on mettait l’intégralité du budget de l’Etat sur cette rubrique de lutte contre les inondations, les problèmes ne seraient pas pour autant résolus. C’est cela qu’il faut dire courageusement aux Sénégalais. Et amorcer avec eux tout aussi courageusement les réorientations nécessaires.

Le Tout-Puissant vient de nous tendre la perche avec les découvertes de pétrole et de gaz. Ces ressources doivent nous permettre, en une décennie, de tourner la page des défis de toutes sortes qui assaillent cette région capitale du Sénégal.

Dakar est, selon moi, le problème de sécurité no1 du pays avec plus de 6000 habitants au km2, toutes sortes d’industries et d’entreprises manipulant des produits hautement toxiques. L’accident de la Sonacos de mars 1992, avec l’explosion d’un camion d’ammoniac qui avait fait 129 morts et plus de 1000 blessés et handicapés à vie, est encore frais dans certaines mémoires. Les phénomènes et situations qui avaient entraîné cette catastrophe sont encore là et se sont même accentués. Le journal Enquête a effectué il y a quelques années, un retour sur cet épisode pour constater que «les risques d’un tel accident sont toujours réels. Dakar est assise sur une poudrière du fait de la concentration de l’essentiel des activités industrielles dans la capitale…

La majeure partie des industries n’ont pas de dispositif de sécurité adéquat pour faire face à d’éventuelles catastrophes». En dépit des projets et programmes de prévention des accidents chimiques et industriels, «le risque d’accident était de 80% du fait de la cohabitation entre les populations et les unités industrielles, notamment dans toute la zone des hydrocarbures, de Bel-Air à Mbao, en passant par Thiaroye et Hann. Dans un espace aussi réduit, on trouve des produits, inflammables, corrosifs, explosifs, tels que l’ammoniac, le chlore, l’arsenic, l’hexane, l’acide sulfurique, l’oxyde d’azote, le mercure, le monoxyde de carbone, l’hydrogène, le cyanure, le dioxyde de carbone, l’huile, l’essence, le gaz. Partout, l’on note l’existence d’imposantes cuves exposées sous un soleil de plomb, qui peuvent se transformer en de véritables bombes, des citernes contenant des produits chimiques inflammables. L’installation de gargotes autour de ces industries sensibles a fini de convaincre sur le danger réel que courent les populations». Disons-nous cette autre vérité : l’insécurité et la violence ne peuvent être combattues et vaincues par les Forces de défense et de sécurité dans les conditions actuelles.

La configuration de Dakar fait de notre pays l’un des plus vulnérables au monde. L’on sait que Dakar n’a qu’une sortie. Lorsque les Forces navales britanniques et celles du Général De Gaulle ont bombardé Dakar en septembre 1940, espérant pouvoir anéantir les forces pro-Pétain et basculer Dakar dans la résistance, les populations décidèrent en grand nombre de quitter Dakar. On a alors découvert combien la sécurité de ce pays était fragile. Imaginons un scénario où la route de Rufisque et l’autoroute à péage sont bloquées, la conduite du Lac de Guiers mise en difficulté, 2 ou 3 centres de contrôle des télécommunications endommagés et la centrale du Cap des Biches touchée. On se retrouverait subitement devant une situation kafkaïenne où 4 millions de personnes seraient prises dans un piège à rats sans eau, sans électricité, sans pouvoir communiquer et sans pouvoir sortir de là. NON ! Ce n’est pas possible.

Il faut absolument redistribuer les opportunités à l’intérieur du pays. Ce n’est pas le thème de cet article, mais chaque partie du Sénégal a ses avantages comparatifs. Il faut les développer pour que des Sénégalais par milliers quittent volontairement Dakar pour aller saisir ces nouvelles opportunités. Pourquoi les jeunes Sénégalais bravent l’océan et le désert pour aller en Europe ? Parce qu’ils estiment, à tort ou à raison, que c’est là-bas que se trouvent les opportunités. Ici aussi, si les opportunités sont reventilées, grâce aux nouveaux leviers issus du pétrole et du gaz, Dakar serait largement soulagée. Reventiler les opportunités. Cela devrait être articulé à de nouveaux chantiers d’habitats. Ces nouveaux chantiers, ouverts au-delà de Thiès sur l’axe Khombole-Bambey jusqu’à Touba et sur l’axe Tivaouane-Mékhé, empêcheront Diamnia-dio d’être, pour Dakar, un couvercle qui se referme sur une marmite bouillonnante.

Il faudrait qu’entre 2025 et 2035, sur une décennie, construire 100 000 habitations sur de grandes parcelles dans ces espaces-là, avec naturellement toutes les commodités nécessaires : les écoles et universités, les hôpitaux, les marchés, les espaces de culte et de culture, de sports et de divertissement, etc. La mobilité viendra compléter le dispositif global. Les trains et les bus en nombre et en confort permettront une circulation optimale des personnes et des biens sans aucune perte de temps.

Sans être un keynésien sous l’angle de la doctrine économique, il faut bien admettre que ces grands travaux mobiliseront des dizaines voire des centaines de milliers de travailleurs sur au moins une décennie et résoudraient dans une large mesure, le chômage et le sous-emploi des jeunes qui mettraient ainsi une croix définitive sur l’émigration clandestine.

C’est une vérité historique, les populations se déplacent vers les zones considérées comme florissantes et sécurisantes. C’est dans ces conditions et seulement dans ces conditions, qu’on verra au moins un million de personnes quitter Dakar par vagues successives pour aller s’installer là où elles seront nettement à l’aise, tout en ayant la possibilité de rallier Dakar sans difficultés grâce à un système de transport performant. Cette baisse drastique de la population de Dakar entraînera ipso facto une baisse tout aussi drastique des loyers parce que les loyers, ce n’est pas un décret qui peut les baisser mais un rapport favorable entre l’offre et la demande. Les populations quitteront alors les voies d’eaux et les bassins versants pour aller s’établir dans des quartiers plus salubres. Les lacs et les étangs ayant retrouvé leur place naturelle, des aménagements adéquats y seront effectués pour améliorer la qualité de vie des populations. Des infrastructures adéquates pourraient y être implantées pour accroître les moyens des municipalités et de l’Etat. Il n’existe aucune autre solution viable et durable en dehors de cette politique articulant judicieusement, entre autres, aménagement du territoire, déconcentration et décentralisation, permettant à la région de Dakar de redevenir une attraction mondiale. Il faut oser !

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