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DES PATHOLOGIES ET DES INSTITUTIONS

«Crise de l’Etat de droit en Afrique de l’ouest ? Les nouvelles pathologies de la démocratie représentative et de la gouvernance.» tel est l’intitulé du rapport publié par le Think Tank Afrikajom Center qui, dans la partie consacrée au Sénégal, revient sur les tares qui gangrènent certaines de nos institutions non sans donner des pistes de solutions au régime en place.

Afrikajom Center amorce une réflexion stratégique et collective sur les institutions et les mécanismes de régulation légitimes et efficaces. Celle-ci se matérialise par la publication de ce premier rapport qui dresse un tableau clair sur l’état de la démocratie et de la gouvernance dans les pays de la Cedeao. «L’As» s’est intéressé particulièrement à la partie sénégalaise du rapport qui est assez révélatrice du niveau du pays dans différents domaines.

«LES ENJEUX LIES A LA DECOUVERTE ET A L’EXPLOITATION DU PETROLE ONT EU UN IMPACT NEGATIF SUR LA QUALITE DE LA DÉMOCRATIE SENEGALAISE»

Dans l’étude, Afrikajom Center a revisité de fond en comble l’état de la démocratie sénégalaise en mettant l’accent sur la problématique du troisième mandat qui tient le pays en haleine. De prime abord, il a été précisé que les Présidents sénégalais qui se sont succédés depuis l’indépendance ont été confrontés à la problématique de la durée et de la limitation du nombre de mandats. «Et à y regarder de plus près, cela répond à la logique du ‘’ j’y suis j’y reste’’», relève le rapport dont les auteurs se désolent dans la foulée des tripatouillages constitutionnels pour faire un troisième mandat. «Aujourd’hui, le Président Macky Sall a l’opportunité historique de garantir de façon définitive tous les errements liés à la limitation et au nombre de mandats dans l’histoire politique de ce pays depuis l’indépendance. Le Président Macky Sall ne doit surtout pas rater cette opportunité historique pour le Sénégal de donner encore un bel exemple de sa maturité en matière de démocratie», précise-t-on dans le document. Il ressort du rapport que l’hypothèse des liens entre la modification de la Constitution le 23 Juin liée à la découverte du pétrole au Sénégal et la possibilité de son exploitation n’est plus une vue de l’esprit, car le contrat pétrolier entre le Sénégal et Timis Corporation a d’abord été signé avec le Président Wade.

D’après le document, le scandale Petrotim qui s’est révélé plus tard avec l’implication d’Aliou Sall va simplement révéler une continuité. Ainsi, Alioune Tine et ses hommes pensent que les enjeux liés à la découverte et à l’exploitation du pétrole ont eu un impact plutôt négatif sur la qualité de la démocratie sénégalaise. Selon eux, le sentiment global de malaise, de découragement, de déception, mais aussi de révolte et de résistance par rapport à ce que l’opinion appelle de plus en plus autoritarisme, dictature pour décrire un régime qui s’est soudainement crispé avec par moment la manifestation d’une certaine brutalité, est quelque chose d’inattendu. Ils estiment que le fait de «débattre de la transparence dans la gestion du pétrole de façon holistique, non discriminatoire, consensuelle et pacifique, est un impératif catégorique pour éviter que la compétition pour l’accès aux ressources ne devienne une malédiction pour notre démocratie, nos institutions et notre société».

SITUATION DES DROITS ET LIBERTES

Sur la situation des droits de l’homme et de prime abord la liberté d’expression et de manifestation, le rapport révèle que le Sénégal n’a pas mis en œuvre et n’a pris aucune mesure concrète pour mettre en œuvre les 9 recommandations relatives à l’espace civique, acceptées par le gouvernement lors de son passage à l’Examen Périodique Universel au Conseil des Nations Unies en 2013.

En effet, la liberté d’expression au Sénégal est limitée par des dispositions restrictives dans le Code de la presse de 2017 et du Code pénal. «Malgré plusieurs déclarations publiques du Président Macky Sall concernant la dépénalisation des délits de presse, le Code de la presse de 2017 continue de réprimer ces délits et augmente même les peines maximales de prison et les amendes pour ces délits. Le Code pénal prévoit des peines d’emprisonnement pour, en outre, diffamation et offense au chef de l’Etat ; il est utilisé parfois en pratique contre les personnes exprimant des opinions dissidentes», lit-on dans la note parvenue à la rédaction. Pour ce qui est de la liberté de manifestation, se désolent Alioune Tine et Cie, la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 garantit la liberté de manifestation, mais ce droit a parfois été limité par les autorités. «Certains groupes se sont plaints que le gouvernement tardait sans raison à répondre aux demandes d’autorisation de manifestations publiques. D’autres groupes se sont vus refuser une telle autorisation».

UN DEFICIT DE MAGISTRATS ET D’AVOCATS SUR TOUTE L’ÉTENDUE DU TERRITOIRE

Par ailleurs, il a été relevé que l’accès à la justice pour tous est problématique au Sénégal pour plusieurs raisons : «un déficit de magistrats et d’avocats sur toute l’étendue du territoire, une justice lente, avec des moyens limités ».  

Pour Alioune Tine et Cie, ces questions doivent faire l’objet d’une attention particulière de toute la communauté. «Le Sénégal et les autres pays de la sous-région doivent tirer des leçons de l’absence d’État, d’institutions et ses services sociaux de base dans les zones éloignées de la capitale, car certains États en conflit au Sahel en font une expérience tragique aujourd’hui avec l’«autochtonisation» de l’extrémisme violent», d’après l’étude.

LES TARES DE LA GOUVERNANCE MACKY SALL

Par ailleurs, la Gouvernance Macky Sall a occupé une grande partie dans le rapport de Afrikajom Center qui s’est d’abord penché sur l’Inspection Générale d’Etat (IGE) qui est sous le contrôle du Président de la République qui décide seul de ses missions et également des suites à donner à ses rapports, recommandations, ou conclusions. Ce qui, Alioune Tine et Cie, pose des questions réelles d’indépendance de cette institution surtout quand le chef de l’État est en même temps chef de parti. Par rapport à la déclaration de patrimoine à l’Ofnac, il a été déploré le fait que quatre cent (400) personnalités de l’État dont le Président de la République, responsable d’un budget de plus d’un milliard, n’ont pas encore déclarer leur patrimoine à l’Ofnac. Et le rapport de faire appel à l’article 37 al.3 de la Constitution qui dispose que «le Président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique».

Pour ce qui est de la Cour des comptes, il a été noté que les rapports passent d’abord par le président de la République avant d’être publiés. «Cela prend par conséquent beaucoup de temps, les rapports perdant ainsi leur impact, alors que leur intérêt est à la fois pédagogique, informatif mais aussi dénonciateur et dissuasif, plus précisément avec l’effet du « naming and shaming» (interpeller pour faire honte) ». Ceci étant, Afrikajom Center pense qu’il est important de trouver les moyens d’une bonne coordination entre d’une part le travail de l’Ige, de la Cour des comptes et de l’Ofnac, qui interviennent pratiquement dans les mêmes dossiers et d’autre part le renforcement des liens avec la justice. Il ressort du rapport que le maillon faible du système est la perception d’une certaine impuissance, d’une certaine incapacité pour ces institutions de poursuivre en justice les auteurs de cas avérés et graves de délinquance économique.

En effet, Ces institutions n’ont pas la possibilité d’actionner le pouvoir judiciaire après les enquêtes et la publication des rapports. Cette action est en principe de la compétence du procureur de la République, qui sur ces questions, a tendance à attendre une instruction de la tutelle. Toutes ces raisons expliquent les difficultés à combattre et à éradiquer la corruption, la concussion, les détournements de deniers publics dont les auteurs soupçonnés sont des membres du gouvernement ou des partis de la majorité. C’est pourquoi, Afrikajom Center recommande d’engager la publication du rapport 48h après sa remise effective.

RECOMMANDATIONS DE AFRIKAJOM CENTER

En définitive, Afrikajom Center recommande au gouvernement sénégalais de renforcer la stabilité et la sécurité constitutionnelle, surtout sur la question de la durée et du nombre de mandats ; de régler la question du consensus électoral dans la durée sur le fichier, le parrainage et les organes de régulation et de règlement du contentieux. Aussi, Alioune Tine et Cie exhortent le pouvoir à permettre à la justice de garantir la liberté d’expression et de manifestation, pour que les citoyens puissent la saisir et qu’elle rende des décisions en matière de démocratie et de droits de l’homme ; et à renforcer les organes et les outils de régulation pour lutter contre la corruption, car sans cela, il serait illusoire de parler d’émergence ; de renforcer les moyens, l’indépendance et les pouvoirs de ces organes de régulation. Ils invitent pour conclure les autorités sénégalaises à faire de sorte que la Cour des comptes travaille de façon étroite avec le procureur ; et qu’elles créent un pôle financier indépendant qui pourrait remplacer la Crei, dont la mission serait d’une part de se saisir de tous les dossiers relatifs aux détournements de fonds, à la corruption et à la concussion, et d’autre part d’exploiter les rapports de la Cour des comptes, de l’Ige, de l’Ofnac et de poursuivre tous les cas avérés et graves de dérives financières dans la gestion des affaires publiques.

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