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LE FOUTA ET LES ÉLECTIONS

Le supposé bourrage d’urnes à Podor a créé un débat sur la validité des résultats annoncés par la commission nationale de recensement des votes dans cette zone. Le dossier faisant l’objet de recours devant les tribunaux compétents (Ndlr, l’intercoalition Yewwi/Wallu a finalement décidé de ne plus déposer de recours devant le Conseil constitutionnel), on ne saurait trop s’avancer faute d’éléments indiscutables.

Le bourrage d’urnes n’est pas propre à une zone géographique, une ethnie, ou un peuple. Jed Bush a été accusé d’avoir bourré les urnes dans son fief de Floride pour faire réélire son frère George président des USA. Mais une chose doit être tenue pour acquise : s’il y a eu bourrage d’urnes, c’est hors la vue des populations, qui n’y seraient donc pour rien. Entre temps, la polémique a dérapé pour se fixer sur le vote ethnique au Fouta. Nous avons estimé important d’apporter notre contribution à ce débat en convoquant l’Histoire.

La stigmatisation des Hal pulaar date de la colonisation. Faidherbe disait à propos : « Les Toucouleurs sont une race intelligente et perfide ; ils ont été viciés par l’islamisme qui les a rendus aussi menteurs et voleurs que les Maures ». On peut dire aujourd’hui que ce trait du colonialiste en chef n’aura pas tenu longtemps.

En effet, depuis le retrait de l’administration coloniale, toutes les politiques de division ethnique et d’échelonnage de citoyenneté sénégalaise (4 communes etc.) ont échoué par la grâce des populations qui ont adopté un modèle de vivre-ensemble cimenté par la religion. On n’entend plus les expressions du type “sama toucouleur bi’’, ou alors ‘’sama ndiaago bi’’ ou plus généralement « lakkekat yi’’, à mettre sur le compte d’une vieille condescendance cultivée par le colon pour mieux diviser. Des conditions de vie difficiles ont poussé les Foutankés à migrer vers la banlieue de Dakar (Pikine, Guédiawaye, Keur Massar) à partir du milieu des années 60, favorisant le brassage des populations. Aujourd’hui, des Haal pulaar y sont choisis par leurs concitoyens comme imams de mosquées et délégués de quartiers. Le mariage exogamique n’est plus une exception dans la majorité des familles du Fouta. Les hommes et femmes du Fouta sont mariés dans toutes les ethnies du Sénégal ; il est d’ailleurs fréquent d’entendre « je suis de telle ethnie, mais ma mère est toucouleur ! ».

En matière de suffrages électoraux, l’histoire du vote au Fouta ne laisse en rien poindre le vote de l’ethnie pulaar en faveur d’un des siens. Le Fouta a soutenu à 100 % le Sérère Senghor durant toute sa carrière politique contre le Saint- Louisien Lamine Guèye champion de l’électorat des 4 communes. Le Fouta n’a pas soutenu le Hal Pulaar Mamadou DIA accusé d’avoir tenté un coup d’Etat contre Senghor et ne lui accorda pas d’attention particulière lorsqu’il passa 13 ans à Kédougou. Le Fouta n’a pas soutenu le Hal Pulaar Oumar WONE du Parti populaire sénégalais (PPS) lors de l’élection présidentielle de 1983 où le médecin officiant à Diourbel n’obtint que 2 146 voix, soit 0,20 % des suffrages exprimés.

Après Senghor, Abdou Diouf le Saint Louisien/ « Ndiambour ndiambour » bénéficiera du vote Foutanké à 100 % jusqu’en 2000 sans pour autant qu’on ait parlé de vote ethnique ou de « néddo ko bandoumisme ». Historiquement, on a commencé à parler de vote ethnique du Fouta lorsque feu Djibo KA sortit avec fracas du PS pour former l’URD en 1996/97. Ce que l’on oublie de dire, c’est que Djibo KA, durement combattu par les cadres Haal pulaar du PS, n’a jamais obtenu plus de 30 % des suffrages au Fouta, quel que fût le type d’élection.

Abdoulaye Wade parvint à gagner au Fouta avec le renfort de ceux qu’on appela les « transhumants » qui détenaient l’essentiel des bases politiques, et dont les plus connus étaient : Adama Sall et Sada Ndiaye pour Matam, Amadou Kane Diallo à Podor. Ces départs massifs du PS avaient conduit feu Ousmane Tanor Dieng à qualifier les Foutankobés d’électorat « tic tac », pour dire que le Fouta est avec vous lorsque vous êtes au pouvoir et il vous quitte lorsque vous le perdez. Wade assoira son emprise sur le Fouta en attirant vers lui Abdourahim Agne qui avait quitté le PS avec ses hommes dont Elimane Kane bien assis dans la région de Matam, et créé le Parti de la Réforme. C’est dire que le sens du vote au Fouta n’est pas guidé par des considérations ethniques mais plutôt par des calculs purs et durs.

Concernant les populations, elles sont mues dans leurs choix par la crainte de la marginalisation, voire de l’exclusion, lors des partages de divers subsides de l’Etat. En définitive, tout cela est lié à la pauvreté de la zone et de ses habitants. Le Fouta post indépendance est délaissé et il n’y a ni infrastructures industrielles ou agro industrielles pour offrir des emplois, ni commerce d’envergure. Pis, les services liés à l’éducation, à la santé ou à la formation ne sont guère performants. L’agriculture, comme partout ailleurs, ne nourrit pas son homme. Le phosphate est exploité dans une grande opacité.

En 2012, le Président Abdoulaye WADE avait collecté moins de suffrages que le candidat Macky Sall. C’était la première fois au Fouta qu’un outsider battait aux urnes le Président en place et Abdoulaye Wade avait obtenu 38 837 voix (38,76%), et Macky Sall 49 928 voix à Matam (49,83 %). Par conséquent, le vote de 2012 ne fut pas ethnique si on se réfère aux résultats de ce premier tour, car le candidat Haal pulaar de père et de mère Macky SALL aura recueilli moins de 50 % des suffrages de cette région.

Avec l’avènement du Président SALL, l’espoir était né du fait qu’il est un natif du terroir et parlant le pulaar. Il fût dès lors perçu comme celui qui allait sortir le Fouta de sa misère. L’histoire nous dira ce qu’il aura été de son magistère concernant les attentes du Fouta. C’est une fois Macky Sall élu président de la République que les responsables politiques du camp présidentiel affichèrent leur volonté de faire du Fouta, le Fouta du seul Président SALL. Des expressions comme « Fouta titre foncier » commencèrent à fleurir. Conclusions En définitive, les déterminants du vote au Fouta ne sont ni l’ethnie ni la langue. Quand bien même le vote aurait un sens ethnique ou régionaliste, nous devons admettre que les responsables puissent avoir des fiefs épousant leurs contrées d’origine. Il n’y a rien d’anormal qu’un Diola se reconnaisse en Ousmane Sonko, un Hal Pulaar en Macky SALL.

Par conséquent, aucune ethnie ni aucune région ne devrait être tenue à l’œil pour le sens de son vote. Il faut en finir avec cette manie de chercher la question ethnique. D’ailleurs, chercher l’ethnie au travers du patronyme serait une chose très compliquée au Fouta. Les Ndiaye, Sarr, DIOP, Ngom, Seck sont des patronymes usuels dans l’ethnie pulaar au Fouta. A Sare liou (on y trouve des Nguirane) ou Ourossoqui les Wolofs et Pulaar coexistant pacifiquement ; il en va de même avec les Soninkés du Damnga Semmé. Compte tenu des liens inextricables entre ethnies au Sénégal, il est permis d’affirmer sans risque de se tromper que les politiciens de tous bords jouant sur la fibre ethnique pour conserver leurs bases perdent leur temps.

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