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POUR CHANGER LE SYSTÈME, IL FAUT NÉCESSAIREMENT ÊTRE AVEC LE SYSTÈME

Pour mieux le comprendre, faire son hygiène introspective quotidienne, le dénoncer avec force et sans équivoque, définir ses stratégies, renforcer son leadership et se massifier pour le vaincre.

Avec un projet de société bien ficelé répondant aux problèmes et aspirations de milliers de Sénégalais (Solutions, 2017), des preuves électorales incontestables, un ralliement de masse sans précédent, et la place d’opposant principal du régime en place, « être avec » le système, comme semble bien le saisir le leader de Pastef, ce n’est pas nécessairement épouser les valeurs du système. C’est plutôt mieux le comprendre, faire sa propre hygiène introspective et quotidienne, le dénoncer en permanence et sans équivoque, bien définir ses stratégies, renforcer son leadership et se massifier pour le vaincre.

Dans nos relations humaines et comme stratégie de guerre bien connue, cette phrase paraissant contradictoire et suicidaire est de rigueur : « Keep your friends close but keep your enemies closer » (Gardez vos amis près de vous, mais gardez vos ennemis encore plus près), a dit Don Vito Corleone à Michael Corleone dans The Godfather, Part II (Le Parrain). Et John F. Kennedy, l’ancien président des États-Unis d’Amérique, de renchérir : « Forgive your enemies but never forget their names. » (Pardonnez vos ennemis mais n’oubliez jamais leurs noms). Cette nécessité de vouloir garder son adversaire à proximité ou en vue n’est donc pas par amour à son égard ou pour endosser ses valeurs, mais plutôt par nécessité stratégique. En plus, « il n’y a pas d’assurance de sécurité contre la traîtrise » comme nous le rappelle bien Bassirou Diomaye Faye, coordonnateur du mouvement des cadres de Pastef (voir ici).

Le débat entre système et antisystème revient très souvent sur la scène politique sénégalaise. Il a été particulièrement audible lors des visites de proximité et de remerciement que le leader de Pastef, Ousmane Sonko, considéré comme leader de « l’antisystème », rendait à des personnalités soi-disant du système après les évènements de mars 2021. Plus récemment, ce même débat est revenu avec l’alliance Yewwi Askan Wi d’abord, et l’intercoalition Yewwi/Wallu ensuite, dans lesquelles alliances, le Pastef se retrouve avec des mouvements et partis politiques dits du système, pour les échéances locales (Yewwi Askan Wi), législatives (Yewwi/Wallu) et éventuellement présidentielles. Le débat accuse principalement Ousmane Sonko et son parti d’être avec des gens du même système qu’ils combattent.

La réponse du leader de Pastef, comme celle de ses responsables, est que l’antisystème est un ensemble de valeurs, de principes, et de comportements visant à combattre la mal-gouvernance qui sévit depuis 1960. Si quelqu’un faisant partie de ce système ou qui avait bénéficié de ses privilèges est prêt à épouser les valeurs, principes, et comportements de l’antisystème, il est le bienvenu. De même, dans une alliance électorale, si un parti politique ou mouvement est prêt à aller avec le Pastef aux élections contre le régime en place suivant des stratégies bien définies, il est aussi le bienvenu (voir les explications pertinentes sur ce sujet de Dame Mbodj, secrétaire général de CUSEMS/authentique et porte-parole de la coalition citoyenne Le Peuple). Cette réponse s’avère non seulement logique mais aussi pratique si on se réfère à comment se comporte un système en général et à la sociologie sénégalaise en particulier. Examinons d’abord ce qu’est un système avant de finir avec une petite introspection pour nous tous.

Un système, nous renseigne Donella H. Meadows (Thinking Systems, 2008), est un ensemble d’éléments organisés d’une manière hiérarchique et fonctionnant suivant des normes ou principes pouvant entraîner des modèles de comportements spécifiques. Les systèmes sont par conséquent partout autour de nous. Le plus près de nous est notre système biologique qui dénote du fonctionnement de notre corps. On a aussi, parmi tant d’autres, notre système social, de santé, d’apprentissage, et même nos systèmes d’habitudes personnelles (au réveil le matin ou au coucher le soir, suivant par exemple qu’on fasse du sport le matin avant d’aller au travail ou qu’on lise à nos enfants avant qu’ils s’endorment le soir). Chacun de ces systèmes plus ou moins élaborés, formels ou codifiés, dénote d’une réalité globale faite de petites réalités (ou sous-systèmes) hiérarchisées, connectées entre elles, et interagissant pour réaliser un objectif. Un sous-système devient un système quand il porte l’attention globale d’une étude ou analyse en tant qu’entité hiérarchisée.

Il faut dire aussi que les systèmes trouvent leur différence dans les valeurs dominantes soutenant leurs modèles de comportements pour réaliser leurs objectifs. On peut dire que le système symbolisé aujourd’hui par le régime de Macky Sall et l’antisystème proposé par Ousmane Sonko sont animés par des valeurs différentes sur lesquelles sont basés des modèles de comportements précis. Mais cette différence n’exclut pas une certaine interactivité entre eux dans leur processus d’actualisation et de stratégies de lutte pour le pouvoir dans l’espace politique sénégalais.

Le système est une justification essentielle de l’antisystème

En tant qu’acteur de l’antisystème, l’agent de changement du système trouve le sens de son action dans le système qu’il combat. Il justifie sa cause et définit ses priorités et stratégies par rapport à ce système. Crozier, M. et Friedberg, E. dans L’acteur et le système, 1977, nous renvoient à cette réalité nous disant que « l’acteur n’existe pas en dehors du système qui définit la liberté qui est la sienne et la rationalité qu’il peut utiliser dans son action ».

L’intégrité, le courage et la constance à dénoncer les problèmes de mal-gouvernance du pays n’auraient jamais autant attiré l’attention des Sénégalais sur la personne d’Ousmane Sonko en tant que leader de l’antisystème et son projet, s’il n’y avait pas le régime en place et ses dérives justifiant leur raison d’être, montrer le contraste dans ce qu’ils proposent comme différences, et l’urgence d’agir. D’où l’obligation de l’acteur principal de l’antisystème de garder « sa proximité » avec le système comme référence vitale pour mieux adapter ses stratégies tout au long de sa conquête du pouvoir. L’annulation de la marche du 29 Juin 2022 de la coalition Yewwi Askan Wi, par exemple, la décision d’aller aux élections même sans liste nationale des titulaires, et celle de Ousmane Sonko d’être au-devant de la compagne des législatives, même étant éliminé, peuvent être perçues comme des changements de stratégies bien pensées par rapport au système en face.

De même, l’antisystème ne laisse pas indifférent le système. On remarque en effet que, depuis qu’Ousmane Sonko est devenu le leader incontestable de l’antisystème, le pouvoir et ses acolytes en général ne sortent pour se défendre qu’après les sorties du leader de Pastef et/ou de sa coalition, comme s’il n’existait pas d’autres acteurs politiques sur le terrain ou bien que le pouvoir n’avait pas d’autres préoccupations ou urgences pour parler aux Sénégalais. Ainsi l’antisystème devient un grand enjeu pour le système.

La complexité systémique pose le problème du contexte de l’antisystème qu’est le système

Tout système est complexe. Par conséquent, pour mieux le comprendre et penser ses stratégies, il faut le relier avec son contexte. Contrairement à la pensée analytique qui isole pour mieux cerner, la pensée complexe ou systémique relie pour mieux comprendre. « Relier, relier », nous exhorte le sociologue français Edgar Morin (L’intelligence de la Complexité, 1999). Le contexte dans la pensée systémique renvoie à deux aspects : l’environnement délimité par les frontières du système, c’est-à-dire par ses critères d’appartenance, et le cadre social dans lequel se situe ce système. Dès lors, la complexité de l’antisystème (un système en soi) pose le problème du contexte qui le situe.

Dans le champ politique sénégalais, le système de mal-gouvernance qui sévit depuis 1960 est symbolisé à présent par le pouvoir de Macky Sall. Il est le gardien de la Constitution, des lois, des forces militaires et paramilitaires. Il est aussi l’initiateur et l’exécuteur principal des politiques qui impactent la vie des Sénégalais. On voit que ce système, qui a des racines historiques très profondes, est aussi très structuré et a une portée considérable dans le quotidien des Sénégalais. En revanche, l’antisystème incarné par le leader de Pastef est une entité récente dans la dynamique qu’elle incarne et l’ampleur de son ancrage dans la jeunesse. On peut dire alors que cet antisystème fait partie d’un système mère plus ancien, plus élaboré, et plus impactant. Par conséquent, pour mieux se relier avec son contexte qui est son système mère, l’antisystème doit nécessairement faire avec ce système, non seulement pour bien définir ses stratégies d’alliances, de massification, ou de collecte de ressources, mais aussi pour bien saisir toute opportunité émergente. Ainsi, quand Ousmane Sonko, à l’après-midi du 17 juin 2022, décide de se plier à la volonté des forces de l’ordre dans son quartier lui interdisant arbitrairement d’aller prier, il a su efficacement lire son contexte médiatique en temps réel. Il a su saisir l’opportunité de mettre à nu les dérives du pouvoir aux yeux des Sénégalais et de la communauté internationale. Concomitamment et conformément à l’image sociologique sénégalaise, le leader de Pastef a pu calmement démontrer le profil d’un homme ordinaire, pieux, de paix, et serein face à la provocation.

La complexité systémique pose aussi le principe hologrammatique qui stipule que le système est un tout fait de parties (sous-systèmes) ou « le tout est dans la partie et la partie est dans le tout ».

L’individu est dans la société mais porte aussi cette dernière en lui-même à travers la langue et la culture qu’il partage avec les autres. Dans notre contexte politique, la mal-gouvernance symbolisée par le régime de Macky Sall est le tout et l’antisystème comme changement radical, proposé par Ousmane Sonko, la partie. Chacune de ces deux entités, à des degrés différents, renferme des éléments ou comportements s’apparentant ceux de l’autre entité. Ce principe hologrammatique justifie-t-il alors les sorties répétées d’un ancien membre de l’APR, Mouhamed Thiam, qui souligne à chaque fois les qualités d’Ousmane Sonko, en l’occurrence son courage, sa droiture, et son intégrité (voir ici et ici) ? Ou justifie-t-il les comportements exemplaires de citoyens dans le système comme ceux soulignés dans la police et le milieu carcéral par le professeur Omar Diagne lors de sa première sortie après sa libération (voir ici). Ou encore explique-t-il la sortie d’Aminata Tall, ancienne secrétaire générale de la présidence de la République et présidente du Conseil économique, social et environnemental et militante de l’APR (voir ici) ou celle de Mankeur Ndiaye, ancien ministre des Affaires étrangères de Macky Sall (voir ici) ? Ces deux personnalités du régime de Macky Sall, pour une raison ou pour une autre, ont tous décrié l’état démocratique délétère dans lequel se trouve le pays.

De même, certains comportements dans l’antisystème, comme ceux de militants de Pastef qui voulaient faire fi du règlement intérieur de leur parti ou coalition pour se faire investir lors des locales de Janvier 2022, constituent historiquement des exemples typiques du système. Le leader de Pastef, faisant sa propre introspection pour son parti, les avait bien décriés (voir Les dures vérités de Ousmane Sonko sur Pastef – YouTube).

 Mais avec ce principe hologrammatique, nous prévient Edgar Morin, « la qualité du tout n’est pas la somme des parties, car la partie peut avoir des qualités inhibées par l’organisation du tout ».

Ce qui est surtout inhibé dans l’antisystème en tant que partie dans le tout, c’est surtout l’expression des libertés individuelles qui fait nourrir une démocratie et permet aux citoyens d’exprimer librement leur mécontentement et frustration quand ils le souhaitent. Cette expression des libertés est d’une part exigée par l’antisystème à travers des conférences de presse, des marches, des concerts de casseroles, et les réseaux sociaux. Elle est cependant étouffée par le régime de Macky Sall avec son chéquier et sa prison (voir Le président, le chéquier et la prison (Momar Dieng) – LATUACHO.COM) , mais aussi par des tortures, des morts suspectes, le complot, la promotion de contre-valeurs, des menaces et intimidations, et la stigmatisation ethnique ou régionale. L’antisystème promet une qualité de vie meilleure à des milliers de jeunes Sénégalais auxquels il donne l’espoir qu’ils peuvent faire mieux que leurs parents. Idéalement l’antisystème représente aussi tout ce qu’il peut y avoir encore d’inhiber chez l’homme sénégalais/africain qui cherche sa libération de lui-même et de tout autre système qui l’empêcherait de s’épanouir pleinement.

Finalement, les analyses précédentes posent au moins deux conséquences majeures. La première est que tout changement proposé par l’antisystème nécessite des stratégies bien pensées qui ne peuvent pas exclure entièrement le système.

Comme cela a été démontré, pour combattre le système, il faut être dans « les situations d’action » du système (Crozier et Friedberg, 1977). Ainsi, l’alliance politique est d’abord une opportunité pour montrer son leadership, sa capacité à rassembler vers l’essentiel. Elle est d’abord stratégique et non pas systémique. Les alliés Yewwi/Wallu ont des intérêts convergents qui sont la conquête du pouvoir local (Yewwi), législatif (Yewwi/Wallu), et éventuellement exécutif, pas nécessairement la même vision de la gestion du pouvoir une fois acquis.

La deuxième conséquence découle de la première. Puisqu’on est condamné à être avec le système pour le combattre, une hygiène mentale et comportementale quotidienne est nécessaire chez tout combattant du système.

Ne porte-t-on pas un degré de système en chacun de nous ? Cette question mérite d’être posée entre nous, même si ce degré de système ne peut pas être à l’échelon du régime en place qui détient les ressources du pays et à qui incombe la responsabilité première de poser les jalons du changement et d’en souscrire à travers l’exemplarité. Qui hésiterait, par exemple, à donner 1 500 CFA ou 2 000 francs CFA à un policier quelquefois pour qu’il nous laisse passer même lorsqu’on a été arrêté arbitrairement ? Pour combattre le système, est-ce que chacun d’entre nous est prêt à refuser ce système tout en étant en son sein ? C’est cette introspection profonde que nous invite à faire un « liveur » sénégalais, dont je tairai le nom, qui s’interroge : « Tout le monde parle du changement de système avec Ousmane Sonko. Comme Ousmane Sonko ne peut pas le faire tout seul, est-ce que chaque Sénégalais est prêt à faire ce qu’il faut pour changer nos habitudes et combattre le système ?

C’est au niveau de ces questionnements, de cette hygiène quotidienne dans la pensée et l’action individuelle que doit commencer tout réveil patriotique. Serigne Cheikh Tidiane Al-Maktoum, rapportant les propos de Mame El Hadji Malick Sy parlant du système, nous avertissait déjà au Mawlid de 2007 de notre familiarité avec celui-ci tant il a trop duré. Il disait qu’« on n’a que nos familles dans le système ». Par conséquent, Sun Tzu, dans L’art de faire la guerre (2020), nous montre une voie où notre connaissance du système doit nécessairement être accompagnée de celle de nous-même pour pouvoir le vaincre : « If you know the enemy and know yourself, you need not fear the result of a hundred battles. » (« Si vous connaissez suffisamment votre ennemi et vous-même, vous n’avez pas besoin d’avoir peur de l’issue de cent batailles »).

Connaissons-nous donc davantage en nous interrogeant en permanence par rapport au système. Car pour le changer, il faut nécessairement « être avec » lui pour mieux le comprendre, faire son introspection quotidienne, le dénoncer avec force et sans équivoque, définir ses stratégies, renforcer son leadership et se massifier pour le vaincre.

Dr. Seynabou Diop est spécialiste des sciences de l’éducation et de la pensée systémique dans la gestion de projet.

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