RISQUE DE CRISE POLITIQUE ALORS QUE LES DEUX CAMPS SE DISPUTENT LA VICTOIRE AUX LÉGISLATIVES
YAW, la coalition d’opposition, affirme avoir obtenu la majorité des 165 sièges en jeu, ce qui ouvrirait une période de cohabitation. Mais le camp du président Macky Sall dément. Quelle que soit l’issue, le chef de l’Etat apparaît déjà comme le perdant de ces élections.
Quand les chiffres manquent, les visages, les gestes et les attitudes peuvent avoir valeur d’indices. Dimanche 31 juillet, aux environs de 22 heures, alors que les résultats des élections législatives tenues ce jour étaient égrenés bureau de vote par bureau de vote sur les radios sénégalaises, les rires et les embrassades étaient à chercher au quartier général de l’opposition. « La région de Dakar, c’est plié. Thiès et Ziguinchor aussi. Saint-Louis, c’est favorable. On fait une razzia sur toutes les villes du pays et dans la diaspora », se réjouit un cadre de Yewwi Askan Wi (YAW, « libérer le peuple »), la principale coalition de l’opposition, focalisé sur sa « plateforme antifraude », où sont compilés en temps réel les résultats sortis des urnes.
Le renouvellement des 165 sièges à l’Assemblée nationale est en jeu pour ce dernier test électoral avant la présidentielle, prévue en février 2024. « Ouh là là, je ne peux plus respirer, c’en est trop pour moi », s’esclaffe une petite femme tout en rondeur, lorsque arrive le cortège de Barthélémy Dias, le nouveau maire de Dakar élu en janvier dernier, prêt à aller parader dans les rues de la capitale sénégalaise dont il va également rester député… Cette fois élu sous les couleurs de l’opposition.
Ici, tout le monde n’a plus qu’un mot à la bouche, « cohabitation », et son corollaire : la fin des ambitions présumées du président Macky Sall de briguer un troisième mandat à la tête du Sénégal, sur lequel le principal intéressé entretient le flou. « Nous allons nommer le premier ministre, le gouvernement et peut-être laisser quelques ministères de souveraineté à Macky. Il peut en tout cas commencer à préparer sa valise. Maintenant, allons jubiler dans les rues avant les autres ! », dit Momar Thiam, un cadre de YAW.
Sourires obligés
A quelques kilomètres de là, l’immense QG de Benno Bokk Yakaar, (BBY, « unis pour le même espoir »), la mouvance au pouvoir, a les allures d’un paquebot au terminus d’une croisière un peu triste. Les sourires sont obligés, les journalistes un peu moins bienvenus. Aminata « Mimi » Touré, la tête de liste battue dans son bureau de vote à Kaolack, n’a pas la mine triomphatrice. « Pour l’instant, ce n’est pas si mal », lâche brièvement l’ancienne première ministre qui a conduit la campagne de BBY avant de rejoindre une nouvelle salle de réunion. « Nous sommes en tête, même si nous ne sommes plus à l’époque des scores soviétiques », jure une source se définissant comme « non autorisée ». Le député et avocat El Hadji Diouf, connu notamment pour avoir défendu bec et ongles l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré lors de son procès au Sénégal, plaide devant l’entrée du bâtiment. « Que l’on perde à Dakar, ce n’est pas une surprise mais vous allez voir la remontada quand les votes des campagnes vont arriver », assure celui dont la dernière cliente célèbre n’est autre qu’Adji Sarr, la jeune masseuse qui a accusé le très pieux et populaire leader de l’opposition, Ousmane Sonko, de « viols et menaces de mort ». Depuis la rue résonnent quelques coups de klaxon narquois.
Puis, alors que la nuit s’est profondément installée sur Dakar, BBY convoque une conférence de presse et s’insère dans la guerre de positionnement. « Nous avons gagné trente départements sur quarante-six. Ceci nous donne incontestablement une majorité. Notre victoire est sans appel », proclame devant les caméras « Mimi » Touré, que beaucoup voyaient au perchoir à l’issue du vote. Immanquablement, sa déclaration vient enflammer les esprits des opposants.