UN MICRO-ÉTAT AU CŒUR DU KASSA
Au Sénégal, il y a des territoires qui se singularisent des autres. Le royaume d’Oussouye en est un. Dirigé par sa Majesté Sibilumbay Diédhiou depuis 22 ans, ce terroir niché dans le sud-est de la Casamance, appelé Bubajum Ayi par les autochtones, conserve toujours son organisation sociale ancestrale. Immersion dans ce royaume du Kassa qui s’étend sur une vingtaine de villages et vigoureusement managé selon les fondements de la religion traditionnelle qui n’ont rien à envier aux États modernes.
A l’entrée de la ville d’Oussouye, une dizaine de kilomètres après le pont de Niambalang qui sépare le département de Ziguinchor et le Kassa, un bois sacré de fromagers et autres grandes espèces, entrelacés de Saba senegalensis appelé «maad» et de plantes herbacées grimpantes, accueille le visiteur. Au milieu de celui-ci, se trouve le palais de sa majesté Sibilumbay Diédhiou appelé «Maan en pays Huluf» (entité géographique du d é p a r t e m e n t d’Ous souye). Dans cet endroit, où Maan (le roi) et sa cour veillent au caractère naturel du milieu, seuls des chaises en plastique (pour les hôtes) et un mur de clôture en dur sont étrangers au caractère ancestral de ce qu’on peut appeler salon d’accueil du palais. C’est à cet endroit que sa majesté reçoit, l’accès aux autres parties du palais étant interdit aux non-initiés (sauf quelques exceptions). C’est aussi à partir de ce palais royal que sa majesté règne sur une importante entité géographique du département d’Oussouye appelée Bubajum Ayi ou royaume d’Usuy (Oussouye). Ce royaume a vu se succéder 16 rois avant l’intronisation de l’actuel maître des lieux. Si l’un des porte-parole du roi ignore la date exacte de sa création, Souleymane Diédhiou renseigne que le royaume existe depuis plus de 6 siècles. Il est apparenté à ceux d’Essukudiak et Karoukhaye, en Guinée Bissau, avec lesquels il pratique les mêmes us et coutumes. Le royaume d’Oussouye n’est pas une monarchie héréditaire. La succession au trône ne se passe pas dans une même famille encore moins dans le même village. Bien qu’étant des princes, les enfants de l’actuel occupant du trône ne serontjamais des rois. Dans le Bubajum Ayi, la couronne est tournante et 5 familles issues de deux villages du royaume se relaient. Il s’agit de deux familles Diédhiou et d’une famille Diabone dans le village d’Oussouye, et des familles Sambou et Diatta dans le village de Kahinda.
SIBILUMBAY DIÉDHIOU, LE GUIDE SUPRÊME
Intronisé le 17 janvier 2000, après des décennies de vacance du trône, suite au décès de son prédécesseur Sibakouyane Diabone, Sibilumbay Diédhiou (Olivier, de son prénom avant l’intronisation) règne sur un territoire géographique de 17 villages du département d’Oussouye que sont Niambalang,Karounate, Siganar, Edioungou, Djivente, Kahinda, Senghalène, Oussouye-village, Oukout, Emaye, Boukitingho, Diantène, Diakène-diola, Essaout,Kagnout, Samatite et Eloudia (Loudia-Diola). Maan, comme le surnomment ses administrés, a aussi plus ou moins une autorité à Niomoune et à Hitou, deux villages insulaires du département de Bignona. Il est le chef traditionnel, mais aussi le guide religieux et spirituel de tout le royaume appelé aussi «Bubajum Ayi», en langue Diola, qui veut dire propriété du roi. Selon la «constitution» traditionnelle du royaume, Maan Sibiloumbaye Diédhiou est le garant de la paix et de la cohésion sociale dans tout le conglomérat. Il veille sur la sécurité alimentaire de ses sujets. En cas de conflit, il réconcilie les parties à travers des concertations. Le roi définit le calendrier religieux du royaume, en collaboration avec les prêtres qui gèrent les autres fétiches du Bubajum Ayi. Son influence se limite dans le périmètre du royaume. Il lui est d’ailleurs interdit de manger ou de boire hors du territoire qu’il contrôle. Le caractère sacré de cet interdit a valu au roi Sihalébé Diatta une mort de faim, après avoir été déporté pour s’être opposé à la culture de l’arachide et à la domination française.
UNE RELIGION TRADITIONNELLE QUI RÉSISTE ENCORE
Le département d’Oussouye est l’une des contrées de la Casamance qui ont résisté à la pénétration forcée des religions dites révélées. Les populations qui se sont converties ont volontairement épousé l’Islam et le Christianisme. Mais la religion traditionnelle est encore dominante dans le Kassa. Elle l’est encore plus dans le royaume d’Usuy. Dans le Bubajum Ayi (royaume), le syncrétisme religieux estla formule trouvée pour transcender les problèmes liés à la religion. Il y a certes des chrétiens et des musulmans, même dans la famille du roi, mais l’organisation sociale est dictée selon la religion traditionnelle. Le roi est le responsable du fétiche fédérateur. Il est donc investi du pouvoir divin. «Contrairement à ce que certains veulent faire croire, la religion traditionnelle pratiquée à Oussouye est monothéiste. Les populations croient en un seul dieu appelé Atémit qui signifie maître des cieux, créateur de la terre et de l’être humain», disait feu François Pompidou Diédhiou, oncle de sa majesté Sibilumbay Diédhiou. Le fétiche, renseignait-il, est un lieu de prière et de recueillement où l’on s’adresse directement à dieu à travers les esprits. Selon lui, les diolas ne sont pas des animistes et ils n’adorent pas les objets, mais les offrandes et le vin versé dans le bois sont recueillis par les esprits qui sont chargés d’intercéder auprès de dieu. Comme dans les religions révélées, le Bubajum Ayi célèbre à sa manière les baptêmes, les mariages et organise ses funérailles selon les recommandations de la religion traditionnelle.
LE SOCIAL, UN SACERDOCE POUR LE ROI
La ville d’Oussouye n’a jamais connu le phénomène de la mendicité. Elle résiste encore à cette pratique répandue dans la plupart des capitales départementales du Sénégal. Une prouesse, certes tirée de l’orgueil du Diola qui n’aime pas tendre la main, mais encouragée par la politique sociale des différents rois qui se sont succédé au trône. En effet, le royaume d’Oussouye a un grenier dans lequel sont stockées des tonnes de riz. Cette denrée produite dans les champs du roi est utilisée pour venir en aide, dans une discrétion totale, aux familles qui sont dans le besoin. Dans ce royaume où le riz est la céréale de base, il existe une organisation qu’on peut assimiler à un «ministère de l’agriculture». Celle-ci est chapeautée par un membre de la cour royale qui est appuyé dans ses tâches par des délégués dans tous les 17 villages que compte le Bubajum Ayi(royaume). «Le responsable du volet agricole est chargé de coordonner toutes les activités culturales dans les rizières du roi. De concert avec ses collaborateurs, ils planifient les dates pour que les villages fassent, tour à tour, les travaux champêtres, de la culture à la récolte», explique Ismaïlia Ngoty Diédhiou, membre de la famille de sa majesté Sibiloumbaye Diédhiou (actuel roi). «Chaque hivernage, le «ministre de l’agriculture» donne le tempo pour que les administrés se relaient dans les rizières du roi. Les hommes (toutes générations confondues) labourent en premier. A leur suite, les femmes repiquent le riz. Ce sont ces mêmes populations qui investissent les champs quelques mois après pour la récolte quand le riz est en maturation », poursuit M. Diédhiou. Il faut tout de même signaler que durant ces activités, les femmes en période de menstruations sont dispensées, puisque dans la tradition du Bubajum Ayi, les règles sont susceptibles de souiller les terres du roi. Après la récolte, le riz est stocké dans des magasins à partir desquels les denrées sont distribuées aux nécessiteux dans la plus grande discrétion
LE «BOIS SACRÉ» POUR PROTÉGER L’ENVIRONNEMENT
S’il y a une zone géographique qui garde encore intactes ou presque ses ressources forestières, c’est bien le Bubajum Ayi (conglomérat de 17 villages sous l’autorité du roi d’Oussouye). A Oussouye, les forêts luxuriantes, qui font le charme de l’un des départements les plus écologiques du Sénégal sont jalousement conservées par les populations. «Le réflexe de protection de la nature développé par les populations nous facilite le travail. Ce comportement vis-à-vis de l’environnement, bien ancré à Oussouye, est sans doute à chercher dans les croyances ancestrales», avait déclaré le chef de la brigade des Eaux et Forêts d’Oussouye, lors d’une journée de reboisement organisée dans le département. Cette hypothèse est confortée par un membre de la cour royale d’Oussouye. «La vie du Diola dépend essentiellement de la nature. On se nourrit à partir de la nature. C’est la nature qui nous soigne et c’est elle qui nous donne un cadre de vie propice à notre épanouissement. Alors pourquoi scier l’arbre sur lequel on est assis», relate Philippe Diédhiou dit Filidié, un des porte-parole du royaume d’Oussouye. «A Oussouye, la forêt est sacrée puisqu’elle abrite la plupart de nos fétiches. Il est formellement interdit d’abattre des arbres sans respecter certains rituels. La préservation de l’environnement est un devoir chez nous. Nos parents nous ont appris que les arbres nous procurent la vie. Donc, s’ils disparaissent, nous ne pourrons pas survivre. C’est pourquoi vous les voyez dans tous les coins d’Oussouye», poursuit-il. Philippe Diédhiou estime que les exigences issues des croyances ancestrales ont permis de préserver l’environnement dans le royaume. «Je pense que toutes les communautés du Sénégal doivent œuvrer dans ce sens, même si c’est avec des paradigmes différents», conclut M. Diédhiou.
DJIVENTE, TERRE DU «MINISTÈRE DE LA JUSTICE»
A partir d’Oussouye où se trouve le palais royal, il faut parcourir environ 2 kilomètres, sur une piste latéritique qui passe par Edioungou pour atteindre le village de Djivente. C’est dans ce hameau où est logé «Elonghay». Ce fétiche, très célèbre dans le royaume, joue le rôle de justice traditionnelle. Ce tribunal ancestral, provenant de la Guinée Bissau, est sous la responsabilité exclusive de la famille Manga. Il a été installé dans le royaume depuis des siècles pour prévenir les crimes de sang. Le siège du juge est aujourd’hui occupé par Kouyanoyo Manga qui a succédé à son grand frère Koudiolibo. Le «magistrat traditionnel» est chargé de présider tous les procès concernant les crimes de sang dans le Boubajum Ayi. Dans le royaume d’Oussouye, il est formellement interdit de tuer. Un crime inavoué entraîne inéluctablement une série de malheurs chez celui qui en est l’auteur, tant qu’il ne l’a pas confessé. Au-delà du coupable, la malédiction peut s’abattre sur sa descendance. Celui-ci est tenu de se présenter devant la justice traditionnelle pour faire publiquement la reconstitution des faits. L’omission volontaire de tout détail important du crime entraîne la nullité de sa confession. Cette justice s’applique aussi à toute personne responsable d’un accident (même involontaire), ayant causé des pertes en vies humaines. Pour se faire libérer de la prison mystique, l’auteur du crime doit se présenter devant le juge traditionnel, avec un terreau ou un porc, du vin de palme (bunuk). Et ce n’est qu’après confession qu’il bénéficiera d’une séance de purification pour être «amnistié». En plus des crimes de sang, le fétiche réprime le refus de la paternité. Tout individu qui refuse une grossesse dont il est l’auteur s’expose à une situation très délicate. Les personnes issues du royaume qui sont dans le service militaire ou tout simplement ayant pris part à une quelconque guerre doivent, après leur service, retourner dans le «Elounghay» pour une séance de purification. «Le sang est sacré chez les Diolas. Personne n’a le droit de transgresser les règles qui protègent l’être humain. Cela est connu de tous dans le royaume», dixit Kouyanoyo Manga.