UNE EXECRABLE MANIPULATION POUR FAIRE ENTRER LE CONTINENT DANS UN CONFLIT QUI N’EST PAS LE SIEN
Le discours prononcé le 26 juillet 2007 à l’Université de Dakar par N. Sarkozy, un Président délinquant quasiment aux portes de la prison, corrompu, prétentieux et suffisant, était provocateur, irrévérencieux, blessant, méprisant, vexatoire et que sais-je encore ? En cela, nous pouvons le maudire et le haïr.
Toutefois, ce discours contient en filigrane deux vérités irréfragables qui ne doivent plus échapper à nos réflexions : «Les Africains ont été historiquement des peuples faibles (1) et ses élites politiques et intellectuelles continuent encore de se montrer incapables de poser, avec clarté, les véritables problèmes de leurs peuples en vue de leur trouver des solutions idoines (2).» Pauvres élites africaines qui ont cédé aux manipulations occidentales pour insérer l’Afrique dans une guerre qui ne la concerne pas, et cela malgré l’humiliation de nos étudiants en Ukraine (déshabillement, discrimination, traitements indécents largement diffusés par les médias). Cette guerre n’a rien à avoir avec «d’éventuelles famines africaines projetées comme conséquence inéluctable». L’abstention de plusieurs Etats africains pour condamner la Russie, même si quelques-uns ont fait, par la suite, des rétropédalages, rendait l’intervention de Monsieur Zelenski à l’Union africaine, à la fois maladroite et inopportune et sans aucun intérêt.
En lisant la presse au quotidien, on s’aperçoit que les politiques du monde occidental ont multiplié les déclarations aussi alarmistes que cauchemardesques, à faire mourir de rire. Il s’agit d’une véritable hystérie informationnelle, à travers des titres calamiteux sur les conséquences de la guerre en Ukraine : 1) l’Afrique est menacée par une famine sans précédent du fait de la guerre en Ukraine ; 2) les pires conséquences du conflit en Ukraine pour l’Afrique pourraient être encore à venir, envol des prix ; 3) une montée de l’insécurité alimentaire ; 4) les lourdes conséquences pour l’Afrique de la guerre en Ukraine ; 5) Afrique, la guerre en Ukraine décuple la crise alimentaire et la déclaration la plus scandaleuse est certainement celle du Sg de l’Onu, M. Guteres, qui déclare sans sourcilier que «la guerre en Ukraine va provoquer «un ouragan de famines», essentiellement dans des pays africains qui importaient plus de la moitié de leur blé d’Ukraine ou de Russie.»
Ces déclarations, intempestives plus qu’alarmistes, ne sont étayées d’aucune statistique, ni analyse rigoureuse, ni référence consistante, ni éclairage de spécialistes comme P. Chalmin (coordonnateur du rapport annuel Cyclope sur l’état et les perspectives des marchés mondiaux de matières premières et animateur du club d’économistes Ulysse) ou Nicolas Bricas, chercheur et socio-économiste de l’alimentation, ou Issoufou Baoua, expert analyste en sécurité alimentaire auprès du Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (Cilss). Ces propos et bien d’autres relèvent d’une instrumentalisation du ventre des peuples africains pour, comme toujours, en faire les supplétifs inconditionnels de toutes les guerres de l’Occident conduites par l’Otan.
Le spécialiste des marchés de matières premières, P. Chalmin (coordonnateur du rapport annuel Cyclope sur l’état et les perspectives des marchés mondiaux de matières premières et animateur du club d’économistes Ulysse), doit se tordre de rire sur cette dramatisation de la Communauté internationale relative à une éventuelle «menace de famine en Afrique» provoquée par la guerre en Ukraine. Les tensions sur les prix de certaines matières premières agricoles se manifestent depuis belle lurette et les dernières en date remontent à 2021 (P. Chalmin), suite aux achats massifs de la Chine. Dans la zone Sahel, selon Issoufou Baoua, expert analyste en sécurité alimentaire auprès du Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (Cilss), «l’Ouest-africain, déjà frappé par une chute du rendement des récoltes et l’instabilité sécuritaire, la question d’une aide supplémentaire d’urgence se pose déjà. En effet, nous sommes passés de 10,7 millions de personnes menacées par l’insécurité alimentaire en 2019 à 40,7 millions en 2022». Bien avant la guerre en Ukraine, selon la Bad, «quelque 283 millions de personnes souffraient déjà de la faim en Afrique». Tout cela explique sans aucun doute qu’en 2021, 8000 protestations sociales ont éclaté à travers le continent en réaction à la hausse des prix à la consommation.
Dire que c’est la guerre en Ukraine qui provoque une crise alimentaire africaine est non seulement faux, mais complètement loufoque et totalement dénué de tout fondement. Tout compte fait, aucune statistique sérieuse ne le montre. Dès lors, les menaces supposées, brandies sans aucun bénéfice de preuve ou d’inventaire, augurent qu’il s’agit purement et simplement d’une manipulation des puissances occidentales pour faire entrer l’Afrique dans des enjeux d’une guerre géopolitique qui ne la concerne pas. L’imprécision du vocabulaire est assez significative : le blé, les engrais et les céréales en provenance d’Ukraine vont créer des pénuries alimentaires sans précédent en Afrique. On tente d’occulter des phénomènes bien connus relativement à la faillite des politiques agricoles, des achats des terres en Afrique et de façon plus fruste, les modèles de consommation en Afrique.
Par ailleurs, P. Chalmin observe avec lucidité, dans une interview récente, que «les tensions sur les marchés agricoles mondiaux sont antérieures à la crise ukrainienne puisqu’elles remontent à 2021, du fait de l’importance des achats chinois en 2021… De plus, pour être honnête, pour l’instant, les corridors (en question) laisseraient plus passer du maïs que du blé. Et va se poser le problème de l’arrivée de la nouvelle campagne, donc de la nouvelle récolte ukrainienne. Celle-ci effectivement aura du mal à sortir». «Les pires conséquences du conflit en Ukraine pour l’Afrique pourraient être encore à venir, envol des prix, insécurité alimentaire, les lourdes conséquences pour l’Afrique de la guerre en Ukraine décuplent la crise alimentaire, etc.» Toutefois, il convient, selon l’auteur, de noter qu’il faut appeler un chat un chat : «La crise alimentaire africaine, elle est avant tout une crise de la pauvreté, une crise de la mal gouvernance, une crise de la mauvaise gestion des politiques agricoles et pour certaines régions, mais aussi une crise climatique. Je pense à la sécheresse qui touche la Corne de l’Afrique.» Il faut alors aller au fond pour décrypter l’origine des crises alimentaires africaines.
On peut observer qu’à la levée de l’embargo sur le Port d’Odessa, les cargaisons étaient destinées à la Turquie, au Liban, au Royaume-Uni, à l’Irlande, à la Corée du Sud. Une cargaison commanditée par le Pam vient seulement de partir pour le Soudan. L’oubli de l’Afrique, menacée par un «ouragan de famine», révèle une fois encore un énorme mensonge destiné simplement à faire du continent la chair à canon des «guerres occidentales».
I/ A l’origine des crises alimentaires en Afrique
La crise alimentaire africaine tire son origine de la conjonction de plusieurs facteurs liés qui sont archi-analysés et bien connus : des politiques agricoles défectueuses, des investissements infrastructurels insuffisants, des recours imparfaits à la recherche agro-économique et au progrès technique, une gouvernance de l’économie agricole désastreuse, une urbanisation rapide et chaotique.
Le premier facteur déséquilibrant est le rapide accroissement de la demande céréalière suite à l’explosion démographique, à l’urbanisation accélérée et à l’augmentation des revenus. Si la demande de biens alimentaires des pays industrialisés tend à se stabiliser du fait du ralentissement démographique et d’une saturation de la consommation pour certains produits (pain, lait frais, fruits et légumes), en revanche, celle émanant des pays émergents d’Asie, d’Amérique latine et des centres urbains africains augmente rapidement. Concernant l’Afrique, avec un taux de croissance supérieur à 8%, elle fait exploser la demande alimentaire et se comporte comme un agent de propagation du modèle de consommation fondé sur les biens importés.
En effet, une des caractéristiques de l’alimentation urbaine en Afrique est la part importante occupée par les produits importés : blé, riz, viande, produits laitiers. Ainsi, la «rizification» de la consommation des villes en Afrique de l’Ouest en est la meilleure illustration : dans les pays du Sahel, les importations de riz par personne ont été multipliées par sept en trente ans. Dans une ville comme Abidjan, selon les enquêtes Dsa, le riz et le pain sont consommés respectivement par 90,1% et 85% des ménages, bien loin devant les tubercules et les féculents comme l’attiéké (76%), l’igname (73%), la banane plantain (72%) et le manioc frais (60%).
En somme, l’ancienne configuration endogène de la consommation est en train de se modifier profondément. Il en va de même pour l’Asie, avec l’apparition d’une nouvelle classe moyenne des centres urbains qui fait exploser la demande de riz : la consommation per capita est passée en Asie de 60 kg à plus de 130 kg dans des périodes assez courtes. L’enrichissement croissant de pays comme l’Inde, la Chine ou le Brésil a entraîné une hausse et une diversification de la consommation alimentaire. Dans ces pays, la demande de biens céréaliers s’est accrue. En Chine, par exemple, on estime que cette consommation a été multipliée par cinq, d’où une hausse de la demande de grains pour le bétail sur le marché mondial. Ces demandes additionnelles nouvelles ont conduit à la baisse des stocks sur le marché mondial des céréales.
Les pressions du marché alimentaire mondial proviennent aussi des restrictions constatées au niveau de l’offre. La plupart des pays exportateurs de céréales sur le marché mondial comme l’Australie, les Usa, l’Ukraine, la Russie, ont connu des sécheresses importantes ces dernières années. Le phénomène est plus marquant encore pour ce qui concerne le riz. Alors qu’au niveau mondial la demande reste soutenue, la production ne suit pas le rythme pour un potentiel commercial qui représente 5 à 6% de la production mondiale dans laquelle l’Asie (Thaïlande, Vietnam, Inde, Chine, etc.) se taille la part du lion avec 90% de la production et 70% des exportations. Pour certaines céréales, les effets de substitutions de production peuvent faire baisser l’offre : c’est le cas du biocarburant. En effet, leur essor conduit à substituer l’usage de surfaces/productions à des fins de satisfaction de la consommation humaine à celle destinée à un usage énergétique. Selon le Pam, pas moins de 100 millions de tonnes de céréales sont utilisées chaque année pour la fabrication d’éthanol ou de biodiesel. Ainsi aux Usa, le cours du maïs suit de plus en plus celui du pétrole.
Le deuxième facteur procède de certaines pressions inflationnistes qui tirent leur origine de la hausse du coût du fret suite à la flambée des prix du pétrole qui impose aux importateurs des surcoûts additionnels, même si la baisse du dollar atténue un peu cette augmentation du prix du baril du pétrole. D’autres biais d’augmentation des prix viendraient de la hausse des prix des facteurs techniques de modernisation de l’agriculture. Il s’agit de l’industrialisation de l’outillage et du matériel agricole, de la recherche des semences à haut rendement. Depuis les années 60, le Sénégal était bien parti avec la création de la Siscoma (Société industrielle sénégalaise de matériels agricoles), de la Sonar (Société nationale d’approvisionnement du monde rural), de l’Isra (Institut sénégalais de recherche agricole).
A côté de ces structures, on pouvait trouver d’autres organismes qui impulsaient les dynamiques régionales de croissance de l’agriculture par valorisation des potentialités locales, comme la Saed (Société d’aménagement et d’exploitation dest du Delta), la Somivac (Société de mise en valeur de la Casamance), la Sodeva (Société de développement et de vulgarisation agricole), la Sodefitex (Société de développement des fibres textiles), la Sodagri (Société de développement agricole et industriel), la Sonacos. Le monde rural était encadré et regroupé en coopératives appuyées par des programmes de modernisation (facteurs modernes de production, semences sélectionnées, machinés agricoles, etc.) et un Crédit agricole spécifique (Cncas). Toutes ces sociétés ont été démolies, sans aucun bénéfice d’inventaire, avec un acharnement et une grande stupidité, par les politiques néo-libérales (voir mes trois ouvrages : L’Etat, le Technicien et le Banquier face aux défis du monde rural sénégalais, La Politique nationale de développement et L’Economie sénégalaise : les 5 défis d’une croissance atone.
Un troisième facteur provient du système prédateur de prélèvement et d’utilisation insuffisamment productive des ressources tirées de la rente agricole et des apports externes (aide et endettement). Ce système a complètement ruiné la paysannerie sénégalaise qui ne disposait alors d’aucun moyen pouvant assurer son autonomie en matière d’investissement et de résilience.
Le dernier facteur de la surchauffe des marchés réside dans l’envahissement des capitaux spéculatifs dans la production et les échanges de l’alimentation. L’essentiel de la production et de la distribution sont le fait de quelques multinationales très puissantes, qui font d’énormes profits en introduisant des distorsions dans le fonctionnement des marchés. Ainsi, les réserves alimentaires ont été privatisées et sont maintenant gérées par les multinationales de l’alimentation, qui se préoccupent plus de spéculation que de protection des producteurs et des consommateurs.
L’intrusion des multinationales entraîne une nouvelle configuration de la carte de la globalisation financière. L’hectare foncier devient un actif à la mode. Des financiers comme George Soros, des fonds spéculatifs comme Altima ou Quantum font de la terre leur placement spéculatif favori face à la volatilité des marchés céréaliers. De 10 millions d’ha cédés dans le seul Sud du Sahara en 2008, de 30 millions d’ha ou de 45 millions d’ha en 2009 dans cette même zone ? Ces seules imprécisions valent aveu de confusion, de précipitation sur cette nouvelle richesse. Après le pétrole, les minerais, les terres rares, les minerais stratégiques : les terres agricoles à cultiver.
En définitive, la conjonction de tous ces facteurs corrélés avec l’accroissement rapide de la demande, les restrictions de l’offre et l’intrusion de la spéculation financière, forme la trame des éléments essentiels de la crise de l’économie.
Ce diagnostic des politiques agricoles, nous l’avons établi depuis les années 80-90 dans plusieurs de mes investigations, dans les références qui suivent : (i) mon ouvrage : L’Etat, le technicien et le banquier face aux défis du monde rural sénégalais, 1996 aux NEAS ; (ii) un article : «Pénuries alimentaires, émeutes de la faim et relance des stratégies vivrières en Afrique, publié par le quotidien WALFADJRI en 2008 ; (iii) un ouvrage financé par la Fondation Ford portant sur «la Banque mondiale, le Fmi et l’agriculture sénégalaise, qui analysait les divers projets financés par ces deux institutions financières internationales ; (iv) Pourquoi les greniers sont vides en Afrique et pleins en Asie : une analyse de l’aide alimentaire en Afrique qui montre comment l’Afrique a remplacé l’Asie et l’Amérique latine au recours à l’aide alimentaire : une étude comparative des rendements et de la productivité par hectare cultivé et par actif rural dans les deltas du Sénégal, du Niger d’une part, et les deltas du Mékong et de Brahmapoutre, d’autre part ; (v) mon intervention au Forum international du «Dakar agricole» initié par le Président Abdoulaye Wade les 4 et 5 février 2005, en présence des hauts cadres de l’Isra, de trois éminentes autorités du domaine, les Docteurs Baba Dioum, Abdoulaye Seck et Mamadou Cissoko du Roppa, et d’une délégation de la Fao. Le Président A. Wade observait dans son discours d’ouverture que «malgré les importantes ressources naturelles sur une superficie de 30,3 millions de km², représentant 22% des terres de la planète, l’Afrique continue de connaître des déficits alimentaires graves et une sous-alimentation qui sont les résultats de la qualité de nos politiques agraires qui n’ont point tiré profit des énormes progrès de la science et de la technologie». Il concluait son intervention en notant que «le développement économique et social ne peut se concevoir sans une implication de tous les acteurs, selon une approche participative et itérative. Celle-ci, pour être efficiente, passe par une recherche scientifique et technique capable d’écouter et de comprendre les messages des marchés, des organisations professionnelles et interprofessionnelles bien formées, bien informées, une Administration publique plus créative et un secteur privé qui massifie ses investissements en agriculture».
Lors de cette rencontre, j’avais rédigé, avec le Président Abdoulaye Wade, «La Déclaration de Dakar sur les politiques agricoles en Afrique», approuvée par les participants au Forum. Il était clairement noté que «les agricultures des pays du Sud doivent impérativement s’interroger sur la manière de concevoir le développement agricole en prenant en considération les atouts et les contraintes politiques, techniques et sociologiques propres aux pays en développement, sans nuire à une promotion équilibrée et mutuellement enrichissante des échanges internationaux. Cette nouvelle approche est en train de se concrétiser à travers la nouvelle politique agricole commune de la Cedeao, fondée sur une répartition et une gestion équitable des ressources, assurant des revenus suffisants et stables, permettant au producteur de vivre dignement des fruits de son travail et favorisant l’intégration régionale». Il était suggéré une réforme profonde de la Fao, pour des approches plus pertinentes des politiques agricoles et une utilisation plus optimale de ses ressources humaines en vue de «l’impérative souveraineté alimentaire».
II/ Analyse synoptique de quelques initiatives de réforme des politiques agricoles
Dans toutes nos analyses, il apparaît clairement que l’Afrique en général et le Sénégal en particulier disposent des outils, mais pas toujours de la volonté politique. Parfois, les responsables politiques manquent de vision stratégique, souvent de courage et des fois de lucidité. Pourquoi tant d’échecs pour des pays qui ont la terre, l’eau, les paquets technologiques et les facteurs de modernisation de l’agriculture. Les responsables politiques, dans bien des cas, ont adopté des politiques néo-libérales qui ont complètement déstructuré l’agriculture, en voulant appliquer la fameuse trilogie libéralisation, privatisation et dérégulation avec un entêtement et un aveuglement totalement absurdes. Ces politiques néo-libérales ont produit des conséquences catastrophiques : la meilleure preuve est l’effondrement de l’agriculture et de l’industrie. In fine, les ravages de la dérégulation se sont traduits par le démontage des pouvoirs de l’Etat. Le Sénégal en donne un exemple avec les fameuses politiques néo-libérales des années 80-90: la Nouvelle politique agricole (Npa) et le Programme d’ajustement structurel de l’agriculture (Pasa).
En vue d’améliorer les politiques agricoles, d’assurer la sécurité alimentaire et de garantir une croissance économique durable et soutenue de l’agriculture, plusieurs déclarations et décisions ont été prises dans de nombreux sommets de l’Union africaine dont les plus importantes sont : la Déclaration de Syrte de 2004 sur les défis de mise en œuvre d’une politique de développement intégré et durable de l’agriculture et des ressources en eau ; la Décision de 2009 d’Abuja sur la sécurité alimentaire en Afrique, sur l’investissement agricole pour la croissance économique et la sécurité ; la Déclaration de Maputo en 2003, les chefs d’Etat de l’Ua avaient décidé de porter la part des dépenses publiques allouées à l’agriculture à 10% de leurs ressources budgétaires dans un délai de 5 ans. Cette manifestation d’une volonté des gouvernements africains de développer le secteur agricole en vue d’améliorer la productivité agricole, d’assurer la sécurité alimentaire et de garantir une croissance économique durable et soutenue ; la Déclaration de Malabo en 2014 sur la croissance et la transformation accélérée et de meilleures conditions de vie.
Le Président A. Wade avait initié une série de réflexions autour des questions centrales : (i) Comment accroître la production alimentaire pour nourrir une population en expansion rapide et une urbanisation accélérée et chaotique ? (ii) Quels investissements massifs dans les infrastructures pour une agriculture productive qui accorde des prix rémunérateurs aux producteurs tout en absorbant les candidats à l’exode rural créateur de la gangrène au niveau des villes ? (iii) Quelles sont les filières porteuses ? L’Ecole de Dakar était mobilisée pour une contribution de ses membres, des techniciens, des divers ministères, etc.
C’est dans ce contexte que l’expérience de la Goana a été initiée par le Président A. Wade, ce qui avait enthousiasmé les acteurs ruraux. Le Projet était faramineux, avec un coût global de 344,7 milliards de francs Cfa sur six ans pour sa réalisation dont 197 milliards FCfa pour l’achat d’engrais, 52 milliards F Cfa pour les semences, 85 milliards F Cfa pour les aménagements hydroagricoles et les travaux d’encadrement et 13,2 milliards F Cfa pour les produits phytosanitaires. Le plan prévoyait l’irrigation des terres du bassin arachidier (Centre-ouest) et l’exploitation des bassins fluviaux. Les résultats attendus parfaitement évalués : une production de deux millions de tonnes de maïs, trois millions de tonnes de manioc, 500 000 tonnes de riz paddy et deux millions de tonnes pour les autres céréales (mil, sorgho, fonio). Pour l’élevage, les objectifs portaient sur une production de 400 millions de litres de lait et 435 000 tonnes de viande.
Dans un article publié dans le journal Walfadjri, nous avions montré avec le Dr Chérif Salif Sy et le Pr Benhammouda, que le «succès de la nouvelle initiative» dépendra, en grande partie, d’une accumulation initiale de stocks alimentaires permettant d’éviter toute perturbation économique dans la période d’installation (stocks de sécurité, fonds de stabilisation…), de la mise en place, en amont comme en aval, d’instruments de politique pertinents tels que la maîtrise du facteur eau, l’accès aux engrais et à des variétés de semences à haut rendement, une réforme foncière courageuse, la construction d’infrastructures de transports, de stockage et de commercialisation et l’instauration d’un système de gestion et d’évaluation de cette stratégie qui serve à assurer la coordination des diverses actions sectorielles et l’appréciation de leur évaluation macroéconomique. J’avais particulièrement insisté sur deux points : d’abord une politique vaste de transformation structurelle qui impliquerait tous les acteurs du monde rural, les paysans, les techniciens et certaines organisations comme le Roppa et une structure institutionnelle de l’Etat qui est l’architecte en dernière instance de toute la régulation du jeu.
En conclusion
Au total, les menaces et autres risques des explosions sociales en Afrique, grossièrement attribués aux conséquences de la guerre en Ukraine, masquent mal les échecs des dirigeants africains qui sont rarement à la hauteur de leurs responsabilités. Ils s’acharnent à faire des routes, des autoroutes, des ponts et autres grands projets dans les centres urbains pour enjoliver et calmer l’électorat urbain au détriment des populations rurales.
Nos analyses montrent à souhait que le monde rural, qui croule sous les pires souffrances, les précarités et les nombreuses autres précarités, va ouvrir une longue période d’émeutes, de conflits, des vagues de déstabilisation régionale incontrôlables. Il ne peut même pas profiter de l’élargissement des marchés urbains du fait de politiques désastreuses d’importation. Les pouvoirs publics régulent les marchés intérieurs porteurs par recours à des biens alimentaires importés parfois soumis aux dures réalités de la spéculation souvent boursière. Il est clair que les Etats, avec leur double déficit de la Balance commerciale et celui des Finances publiques, sont dans l’incapacité de subventionner les biens de consommation de tous ordres.
Face à ces sombres perspectives, les gouvernements doivent gérer les protestations et s’atteler à réformer en profondeur la politique agricole particulièrement en accroissant les investissements de programmes dans les secteurs et sous-secteurs qui permettent d’élever la productivité en agriculture par hectare cultivé et par actif rural. Au Sénégal, trois investissements phares comme le plan de lutte contre la pandémie (1000 milliards de francs Cfa), le Ter (entre 1200 et 1500 milliards) et le Stade Abdoulaye Wade (45 milliards), montrent qu’il est possible de financer 3 plans Goana et 3 plans Reva. Cette problématique soulève la question de l’opportunité d’utilisation alternative des ressources rares.
Professeur Moustapha KASSE
Doyen Honoraire de la FASEG