INSCRIRE L’ART DANS LE QUOTIDIEN
Durant tout le temps qu’a duré la Biennale de l’art contemporain africain, les bannières du «Off» ont flotté sur la ville de Dakar et jusque dans ses recoins les plus secrets et les plus inattendus. Pas moins de 430 expositions Off ont eu lieu cette année entre Dakar, les regions et la diaspora. De quoi réjouir les créateurs de cette dynamique.
Des semaines après la fin de la 14e Biennale de l’art contemporain de Dakar (Dak’art), des bannières flottent encore dans de nombreux quartiers de la ville. «Biennale Off», ce label est devenu comme un symbole de ralliement à l’art. Pendant le mois dedié à l’art africain contemporain, la bannière a flotté jusqu’en des lieux fort suprenants. Et l’événement, au fil du temps, a pris des proportions inattendues. Pas moins de 430 expositions et des centaines d’artistes ont pu cette année, vivre la biennale au delà de la liste restreinte de la selection officielle. Au départ, il s’agissait seulement de surfer sur cette frénésie artisitique à la périphérie de la biennale. Quelques espaces qui accompagnaient l’événement par leurs propres moyens en mettant en place des expositions.
En 2000, Mauro Petroni, artiste ceramiste et commissaire d’exposition, commence à féderer toutes ces initiaves pour en faire un événement reconnue. Le «Off» était né et son créateur ne s’attendait certes pas à voir l’événemment prendre une telle ampleur. «La naissance du «Off» remonte loin, dans les années 1996… Au début, il y avait des évènements spontanés, quelques galeries ou artistes, pas de dénominateur commun, ni la conscience d’une manifestation collective. C’était tout petit.» raconte-t-il. Mais en une vingtaine d’années d’existence, ce petit événement est devenu un indispensable de la biennale. «J’ai commencé à m’en occuper en 2000, pour la 4e biennale. C’est là qu’on a pensé à un concept «Off». Et pour l’occasion, nous avions eu une cinquantaine d’espaces déclarés. J’étais au début de l’initiative, mais le terrain était là en fait. Il fallait juste l’organiser», rappelle modestement M. Petroni.
En 2022, pour la 14e biennale, une croissance exponentielle est d’ailleurs notée dans l’événement. De 320 en 2018, l’on est passés à 430 expositions, soit une hausse de 25%. De quoi désorienter quelques peu les amateurs d’art. «Cette année, j’ai eu des retours contraires et des gens m’ont dit : «il y en a trop. On s’y perd, on n’arrive pas à tout voir».» Selon Mauro Petroni, cette année, les premières critiques ont porté sur le nombre plethorique d’événements. «Il y a eu une montée graduelle pour arriver à l’explosion de cette dernière édition avec près de 430 espaces entre Dakar, sa banlieue et les régions. Et même dans la diaspora. Mais si jusqu’à présent cette montée a été vécue comme positive, enrichissante, pour la première fois, à cette édition, j’ai entendu des critiques comme quoi il y en a trop ! «Trop dispersé, on ne sait plus où aller, pas de controle de qualité, impossible de tout voir», etc., etc.»
Une croissance exponentielle du «Off»
Il faut dire que les «Off» sont devenus une tendance incontournable que restaurants, hôtels ou lieux de loisirs exploitent pour renforcer leur frequentation durant la biennale. Et les lieux d’exposition ne cessent de se renouveller et de se diversifier. L’exposition d’une artiste autrichienne au rond-point du pont de la Foire, empruntant quelques metres carrés au terrain d’entraînement des lutteurs, a certes attiré les regards par le caractère insolite du lieu, mais il faut dire que d’autres endroits, tout aussi singuliers, acceuillent des expositions pendant la biennale. C’est le cas de cet atelier de réparation de piano au coeur du quartier des Hlm. Entre les pianos désossés et tout un bric à brac d’objets hétéroclytes, Abdoulaye Dia a reinstallé ses toiles cette année encore. Preuve que l’art trouve sa place en tout lieu, cette exposition organisée dans un garage de mécanicien au cœur de la plus grande gare urbaine de Dakar, à Petersen. Mais aussi, la Cour Suprême et la Cour des comptes de Dakar, qui ont acceuilli une belle brochette d’artistes. Pour cette dernière, autour de l’architecte des lieux, Malick Mbow, il y avait entre autres, Germaine Anta Gaye, Vieux Diba, Moussa Tine, Fodé Camara, Papisto boy, ect. «La Cour suprême était l’ancien Musée dynamique voulu par Senghor. Après l’affectation de ces locaux au ministère de la Justice, beaucoup d’œuvres qui décoraient les murs sont restées. On ne le savait même pas. C’est le mérite d’un commissaire indépendant, Idrissa Diallo, d’avoir remis ça en lumière. Et, de cour en cour, ses contacts lui ont permis d’organiser l’autre exposition, à la toute nouvelle Cour des comptes.»
Cour Suprême et Cour des comptes
Loin de Dakar, la biennale s’est aussi deployée dans les regions et hors du pays. Ville de vaccance, Saly Portudal, la station balneaire, est petit à petit devenue une vraie ville avec des activités et un pôle culturel important. Pas étonnant alors que des expositions s’y soient deroulées. La Galerie africaine a ainsi acceuilli une magnifique exposition de l’artiste ivoirien Pascal Nampamenla Traoré. Le fil d’Ariane a revisité le parcours de l’artiste à travers diverses expressions. Ailleurs, dans les régions, ils sont quelques centres culturels regionaux à avoir abrité des expositions, à Matam, Fatick et Diourbel notamment. «Pour la première fois, il y a eu 6 à 8 expositions dans la diaspora en paralèlle à la biennale, en France, en Italie et en Martinique. Des acteurs sénégalais vivant là-bas ont voulu organiser ça», note M. Petroni. Evénement phare de cette biennale, l’exposition au siége de l’Unesco à Paris, de la plasticienne Fatou Kiné Diakhaté. Malgré cet engouement pour le «Off», l’événement fonctionne en paralèlle à la Biennale. Il est entièrement financé par Eiffage, le Secretariat général de la biennale fournissant pour sa part les banières et brochures. «La biennale voudrait être plus proche du «Off». Cette année, elle a organisé des projets speciaux», signale M. Petroni. En effet, à côté de l’exposition internationale, des artistes ont étalé leurs propositions et ces expositions ont été tout aussi populaires. Installée à Douta Seck, l’exposition du Centre d’art Black Rock a séduit plus d’un. Black Rock ensemble, sous l’impulsion de l’artiste Kehindle Wiley, a proposé une exposition collective portant sur les nouveaux travaux des participants et amis du programme.
L’exposition de Soly Cissé à la Galerie nationale a été également un grand moment. Au final, si le «Off» a pu rapprocher l’art du commun des Sénégalais, l’on peut espérer qu’à la prochaine exposition ou biennale, des amateurs seront encore plus nombreux à investir l’ancien Palais de justice du Cap Manuel.