NOUS AVONS BESOIN D’UN RÉALISME INVENTIF, MONSIEUR LE PRÉSIDENT
En période de complexités, de mutations profondes, où l’ inquiétude, quant à ce qui se passera demain, semble la mieux partagée, il nous faut une halte, Monsieur le Président. L’on dit souvent que l’on est toujours plus à l’aise pour défendre ce à quoi on n’ a aucun intérêt. Au moins, pour ce cas-ci, cette assertion manque de caractère opératoire : j’ai, comme de nombreux Sénégalais, une passion pour mon pays et je reste convaincu que, si la stabilité est assurée, en ces temps où le monde est devenu dangereux, notre pays, le Sénégal, devrait pouvoir, sous peu , assurer son propre développement .
Les enjeux sont plus qu’importants et, quelque puissent être les ambitions des uns et des autres , les hommes passeront et les nécessités nationales demeureront toujours. « Les grands embrasements naissent de petites étincelles » , a dit le Cardinal de Richelieu. Et , comme il n’y a point de violence sélective ( les douloureux événements de mars 2021 et ceux tout récemment en sont une illustration) , nous devons œuvrer pour la paix des cœurs, en nous rappelant la phrase de LENINE : « la paix seule est révolutionnaire ». Sans vouloir verser dans aucune forme de catastrophisme, il ne fait aucun doute que, aujourd’hui, les fourrés sont denses et que les risques de radicalisation sont bien réels. Le moment semble venu de mettre un terme à l’excès de verbalisme et à cette détestation que rien ne justifie. Je ne prétends point parler au nom d’ une quelconque morale, bien que ma foi la plus dure soit qu’ il existe une morale en politique ; je reste uniquement guidé par mon intime conviction.
Être Président de ce merveilleux pays qui s’appelle le Sénégal signifie, Excellence, Monsieur le Président, une abjuration de soi et une préférence dévorante pour son pays . L’ancien Premier ministre français, Michel Debré, dans l’hommage qu’il a rendu au général De Gaulle, dans la revue Historia , a dit de lui qu’il a su « être la France dans sa continuité et incarner le peuple dans ses aspirations » . Le Sénégal a soif de la paix des cœurs, Monsieur le Président ! Et cette paix doit être la principale idée qui bat et baigne votre pensée, ces temps-ci. Cela veut dire entretenir dans l’ esprit la flamme, et , dans le cœur, l’amour.
Monsieur le Président,
Vous et vos opposants pouvez ne point tomber d’accord sur la saveur, la bonté des fruits du verger, dont vous avez la charge ; au moins , pouvez-vous l’être sur la méthode du jardinier. Les opposants ne seront jamais d’accord avec vous , certes ; mais, qu’il leur soit impossible de nier votre franchise et le souci ardent que vous avez de préserver la stabilité de ce pays et la quiétude de vos chers compatriotes.
Pour cette période un tantinet trouble, le règne continu de la raison doit être assuré. J’avais toujours défendu l’idée selon laquelle ce ne sont pas les Institutions qui dirigent une société ; mais , plutôt, la valeur morale de ceux qui les incarnent. Aujourd’hui, au lieu des hommes, ce sont les événements qui nous dirigent. Vous avez su montrer, Monsieur le Président, à travers le témoignage livré dans votre dernier livre, que la réalité extérieure vous a opprimé prodigieusement, cruellement, peut-être, dès l’enfance ; que vous avez été quelqu’un sur les chemins de qui tant de blocs bruts de défis faisaient obstruction sans que cela , fort heureusement, eût une conséquence sur le chemin de votre réalisation. Je demeure convaincu, Monsieur le Président, que la même force morale veille en vous et qu’elle est indomptable et que , immanquablement , les ressorts de l’ homme des défis vont se bander .
Les Sénégalais ont apprécié en vous cette absence de morgue , cette incapacité à vous surfaire. « Voir clair dans ce qui est », telle fut la devise de STENDHAL. L’aventure de la barque Sénégal ne doit point vous engager vous seul : les écueils sont nombreux et vous avez besoin du concours de tous . La haute conscience que vous avez de votre fonction devrait davantage vous orienter- en vous écartant de ces amitiés bruyantes et trop soudaines- vers un effort de pacification, de retour, par les voies de l’intelligence, c’est-à-dire cette faculté de distinguer, de reconnaître le différent pour différent, d’apercevoir deux idées, deux objets, à la paix des braves. Il vous appartient, vous dont le bilan est plus qu’élogieux, d’attraper la cadence des événements. Le premier réalisme consiste, Monsieur le Président, à partir des faits et à chercher, sans vains regrets , ce que vous pourriez tirer, pour la paix , des accidents malheureux de la politique ; bref , faire appel à la dialectique, qui, faut-il le rappeler, ne suppose pas l’opposition stérile des contradictions, mais l’art de les surmonter par des solutions positives. Le Conseil constitutionnel, après avoir réalisé son travail, est décrié- disons même ignoré- par l’opposition. Ce n’est pas élégant, mais c’est de bonne guerre. Ce qui est sûr c’est que , comme le lit-on dans L’esprit des lois ,dans une démocratie, à partir du moment où l’on ruse avec la loi, où on la nargue, où on la bafoue, « l’État est perdu » .A ce propos, il convient de rappeler que ce n’est guère un fait spécifique à notre pays : en France, dans un numéro du Figaro, daté du 22 février 1960 , un sénateur, Pierre Marcilhacy, avait dit de cette juridiction que « son rôle est de faire souffrir le droit pour servir le pouvoir ». Si je convoque cela c’est pour vous dire, Monsieur le Président, que, dans la situation actuelle, les seules constructions politiques durables sont celles qui reposent sur des fondements extra-politiques -ou, si l’on préfère, que l’homme d’État doit créer, dans les limites qui lui sont fixées par le psychologue. En vérité, on ne peut se délivrer des pièges tendus par l’ intelligence qu’ en accomplissant un nouvel effort d’intelligence.
De l’art de sourire des injustes attaques
Si la démocratie, Monsieur le Président, est la condition de nos libertés collectives et individuelles, de notre égalité dans l’exercice de nos droits et de nos solidarités multiples, elle s’accompagne de tolérance, de capacité à secouer-en toute sportivité- les flèches dont se hérisse votre marche vers le développement de notre cher Sénégal, bref de l’art de sourire des injustes attaques. Certains nient vos performances , avec un brin d’arrogance même. Peu importe ! L’essentiel est que vous êtes en train de construire un présent riche d’avenir. De grâce, Ne le gaspillons pas ! Un trésor positif de dialogue et d’estime nous à été laissé par nos ancêtres. C’est le moment de le revisiter. A présent que tout semble rentrer dans l’ordre, il est temps d’initier des démarches, prudentes certes, mais bien décidées, afin que que les Sénégalais se parlent, qu’ ils s’éloignent de ces crispations-presque maladives-sur des intérêts personnels et partisans. Aujourd’hui, plus que jamais, notre pays doit se rappeler le souvenir de Sérigne Abdoul Aziz SY Dabakh dont le conseil, toujours présent et d’une opportunité chaque jour mieux constatée, doit nous être d’un réconfort plus que précieux. Il faut une certaine grâce pour renoncer en pleine conscience. Renoncer signifie, en abdiquant, se dépasser soi-même, concevoir, du même coup, la solution qui puisse à la fois satisfaire et combler l’esprit. Tous les Sénégalais tiennent à leur cher pays et rêvent d’une classe politique qui , lors des joutes électorales, comme l’albâtre, sans changer de forme ni d’épaisseur , se laisse pénétrer par la lumière. « Le vrai sage , dit Henri de Régnier, est celui qui fonde sur le sable , sachant que tout est vain dans le temps éternel »
Pape Mody NIANG
universitaire et citoyen